Johnson-Sirleaf, lauréate du prix Nobel de la Paix, vénérée à l'étranger, contestée au Liberia

En Occident, elle jouit de l'aura des héroïnes révérées, celle qui revient à une petite-cousine de l'icône sud-africaine Nelson Mandela. Mais au pays, ce Liberia ravagé entre 1989 et 2003 par d'atroces guerres civiles (250.000 morts), Ellen Johnson-Sirleaf, co-lauréate ce vendredi du prix Nobel de la Paix, passe avant-tout pour une présidente sortante controversée, qui s'apprête à briguer -dès mardi prochain-, à la faveur d'élections générales, un second mandat.

Nul ne peut dénier à cette économiste de 72 ans, formée à Harvard, son statut de pionnière. "Mummy Ellen" est et restera la première femme élue aux commandes d'un pays africain. De même, il faudrait une âme de faussaire pour lui contester l'immense mérite d'avoir consolidé une paix ô combien précaire dans une vieille nation de 4 millions d'âmes, fondée en 1822 par des esclaves noirs affranchis venus des Etats-Unis, mais empoisonnée par la haine et une inextinguible soif de revanche. De même, celle qui fit carrière à la Citibank, à la Banque mondiale et à l'ONU, avant de plonger dans le chaudron de la politique, a engagé, avec un volontarisme digne d'éloge, les chantiers de la reconstruction. Tâche ingrate et titanesque. Enfin, le prestige et les réseaux de cette franc-maçonne ont valu à son pays l'effacement de sa dette et le retour des investisseurs étrangers.

Un bilan mitigé

Mais voilà: toute idole a sa part d'ombre. Le bilan du quinquennat la "Dame de Fer" libérienne s'avère mitigé. Y compris sur son terrain de prédilection: l'économie. Près de 90% des Libériens doivent se débrouiller avec l'équivalent d'un euro par jour. Le chômage frappe 80% de la population et condamne plus de neuf jeunes sur dix à l'oisiveté. Ce qui aura d'ailleurs permis au clan de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo de recruter à peu de frais des cohortes de mercenaires.

Au palmarès de l'indice de développement humain des Nations unies, le Liberia apparaît encore à une peu flatteuse 162e place sur 169. La corruption, élevée d'emblée au rang d'"ennemi public n°1", persiste à gangrener le tissu social. Quant aux violences sexuelles infligées aux femmes et aux mineurs, terribles legs de l'époque ou miliciens sanguinaires et enfants-soldats faisaient la loi, demeure un obsédant fléau. Autre ligne de fracture, moins connue: celle qui passe entre l'élite aux ancêtres venus d'Outre-Atlantique, et les "natives", victimes un siècle et demi durant d'un implacable ostracisme.

D'autres nuages assombrissent quelque peu l'image de la veuve pugnace et exigeante, mère de quatre enfants et huit fois grand-mère. "Old Ma" -autre sobriquet affectueux- avait juré de n'accomplir qu'un seul mandat, avant de se rétracter. Au passage, elle a décidé d'ignorer les recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation instaurée par ses soins; laquelle fait figurer son nom dans la liste des 50 personnalités censées renoncer à toute fonction officielle pendant trente ans pour avoir été "associées aux factions belligérantes." Ironie de l'histoire: Ellen Johnson-Sirleaf partage notamment les lauriers du Nobel avec sa compatriote Leymah Gbowee, une militante pacifiste qui siégea au sein de cette Commission.

Pourquoi un tel bannissement? On lui reproche d'avoir épaulé à ses débuts le seigneur de la guerre charles-taylor-un-bourreau-africain-a-la-haye Charles Taylor président de 1997 à 2003. Procès un rien outrancier. En butte à l'hostilité de l'ubuesque Samuel Doe -ce qui lui vaudra deux séjours en prison dans les années 1980 puis un exil forcé-, "EJS" a certes soutenu un temps son tombeur. Mais il est tout aussi vrai qu'elle a très vite pris ses distances avec le sinistre Taylor, actuellement jugé par la Cour pénale internationale de La Haye pour des crimes perpétrés dans la Sierra Leone voisine, avant de le combattre farouchement. Autre grief parfois entendu: l'intègre Ellen, qui se demande parfois en qui placer sa confiance dans le bourbier libérien, a nommé plusieurs proches, dont trois de ses fils, à des postes-clés dans la banque, le pétrole et la sécurité.

La distinction scandinave servira-t-elle les desseins électoraux de la sortante? Pas gagné. Car celle-ci doit notamment faire face au redoutable ticket que forment Winston Tubman, neveu d'un ex-président dont elle fut d'ailleurs la ministre des Finances, et l'ancienne star du football Georges Weah, vénéré à Monrovia et ailleurs. Déjà, fin 2005, le buteur saisi par le démon de la politique l'avait devancé au premier tour, avant de s'incliner de mauvaise grâce lors du second. Il serait paradoxal que "Mister George" supplante au match retour une mamie à poigne sanctifiée par le Nobel...



lexpresse.fr



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