Interview de Faya Millimono

«Pour Alpha tout tourne autour de l'ethnie...le qualificatif qui colle le mieux à la peau du professeur Alpha, il est professeur en géopolitique, et non en science politique en fait.

«Des proches du pouvoir disent que les opposants veulent envoyer des jeunes à l'abattoir; en le disant ils oublient que le boucher, c'est l’État»
Guineeinformation.fr : Le collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition, vient d'organiser un point de presse; pouvez-vous nous dire l'objet de ce point de presse.

Faya Millimono : Oui, nous avons animé un point de presse; j'étais là comme animateur; avec Mouctar Diallo(NFD), docteur Oussou Fofana (UFDG), Madame Biya, et Monsieur Diallo (conseiller juridique des NFD). En fait, deux points essentiels; étaient traités au cours de la conférence de presse. Le premier point; c'est la condamnation des violations des droits humains qui ont cours actuellement à Conakry; le second point, c'était la dénonciation, et surtout l'appel lancé à tout le peuple de Guinée, de rompre le silence; pour faire face à la menace, n'est-ce pas, de la paix, de l'unité, de la stabilité de notre pays; que cause la présence aujourd'hui à Conakry par centaines de gens déguisés en Donzos; mais qui sont véritablement des rebelles qui ont opéré dans les guerres civiles en Sierra Leone, au Liberia, et peut-être en Côté-d'Ivoire. Donc essentiellement, c’étaient les deux points qui étaient traités au cours de la conférence de presse.

Guineeinformation.fr : Les manifestations ont été lancées le 27 septembre; mais le lendemain, elles se sont interrompues; le gouvernement aurait-il accédé à vos revendications ?
Faya Millimono : ça n'a pas été interrompu le lendemain; d'abord nous avions dit que, quand nous allions aux manifestations; on avait dès le début tenu compte du fait que le 28, on devait marquer une pose pour permettre aux guinéens d’honorer la mémoire de tous ceux, et toutes celles, qui ont perdu la vie, qui ont été blessés, qui ont été violées, le jour du 28 septembre 2009; et à l'occasion, nous avons invité donc nos militants, et nos sympathisants; à s'associer, à participer aux prières, n'est-ce pas, pour honorer la mémoire de tous ceux qui ont été victimes de répressions politiques en Guinée.
Après donc, le 28; le 28 même, il y a eu des manifestations dans certains quartiers de Conakry; et au-delà; mais ce qu'il faut comprendre; c'est que, cette manifestation n'était pas interdite; l'opposition, c’est-à-dire, le collectif avait suivi toute la procédure légale; pour s'assurer de toute la légalité de ces manifestations; le pouvoir a choisi d’empêcher que les manifestants sortent.
Donc le même jour, 27; à six heures du matin; il y a eu beaucoup de cas de violations de droits humains; de gens qui été attaqués par des gaz lacrymogènes, des matraques etc etc; simplement parce que, on les a vus avec une pancarte, un document quelconque, lié aux manifestations appelées par le collectif. Cela s'est poursuivi le 28 en fait ; malgré l'appel que nous avons lancé à nos militants de participer aux prières, à la mémoire de ces personnes tuées par les répressions politiques; le pouvoir avait en place une stratégie qui consistait à aller dans les familles avec bien entendu la milice, que constitue les rebelles, qui se font appeler les Donzos, qui sont passés dans les familles dans certains quartiers, surtout dans la commune de Ratoma ; où ils ont versé des marmites ; ils ont percé des sacs de riz ; ils ont vandalisé les domiciles ; ils se sont attaqués à des pauvres citoyens ; les ont terrorisés ; si vous voulez. Alors ce terrorisme d’État ; qui s'est beaucoup intensifié le 28 ; a eu un impact sur les populations, parce que, ça a amené certaines personnes, naturellement à reculer ; là il faut le reconnaître ; parce que le 29 encore ; les exactions continuaient ; parce que, c'est le 29 qu'un commerçant a été tué, et cela a d'ailleurs causé des affrontements avec la gendarmerie avec des populations de certains quartiers de Conakry.
Donc, ce n'est pas parce que nous avons déclaré la fin des manifestations, et on a tenu compte, si vous voulez ; du fait que nos militants, et sympathisants qui ont été soumis à une épreuve dure, celle de la répression sanglante depuis le 27 n'est-ce pas ; on devait tenir compte de cette réalité, pour tourner nos priorités vers d'abord la libération inconditionnelle de toutes les personnes qui ont été interpellées, et puis voir à maintenir la fragile, je dirais, parce qu'on a suivi les premiers pas de l'alliance ADP; donc il y a actuellement une unité entre l'alliance et le collectif ; nous voulons renforcer cela ; parler d'une même voix ; pour exiger les préalables que nous avons posés en vue d'aller autour d'une table de négociation avec ce pouvoir.

Guineeinformation.fr : Qu'est-ce qui prouve que ce sont des rebelles ?

Faya Millimono : Nous sommes tous des guinéens ; nous savons quand on parle de Donzo, quand on parle de chasseurs traditionnels ; dans toutes les régions du pays ; nous avons ce corps de professionnels très respectés, qu'on appelle les chasseurs professionnels ; mais vous conviendrez avec moi que, les chasseurs sont plutôt à l’aise en brousse, à la chasse du gibier ; il n' y en a pas à Conakry.
Nous avons une armée, nous avons la police ; nous avons la gendarmerie ; je ne crois pas qu'on ait besoin de Donzos pour défendre la constitution guinéenne, pour défendre le drapeau guinéen; alors donc, le fait de les avoir à Conakry, armés d'armes blanches ; de flèches, n'est-ce pas, sachant que certains de nos militants et sympathisants ont trouvé la mort ; par l'usage d'armes blanches ; on comprend dès lors que nous nous trouvons dans une situation, où une milice a eu l'ordre de donner la mort.

Guineeinformation.fr : D'après nos informations ; au sein du collectif, vous ne seriez pas d'accord sur la poursuite des manifestations?

Faya Millimono : Non pas du tout, ce n'est pas qu'au sein du collectif, on ne est d'accord pour la poursuite des manifestations; d'abord nous avons appelé les manifestations aussi bien à Conakry, qu'à l’intérieur du pays; et à l’extérieur ; il y en a eu à l’extérieur, Conakry, il y en a eu à Labé notamment ; on ne prévoyait pas que les manifestations soient organisées le même jour 27, partout à travers le monde ; mais on pensait pouvoir mobiliser des gens dans les préfectures de l’intérieur ; par exemple le jour suivant le 27; mais les mêmes dispositions qui ont été prises à Conakry d'empêcher la manifestation de se faire de façon pacifique, comme nous l'avions souhaitée ; les mêmes dispositions ont été prises dans la majorité des préfectures à l’intérieur; parce que encore une fois, ce qu'il faut que les gens se rappellent ; pour Alpha tout tourne autour de l'ethnie.
Voilà l'embarras qu'il a aujourd'hui, n'est-ce pas, le fait que l'ADP vient renforcer le collectif qui avait déjà un caractère national ; quoi qu'il continuait toujours à présenter le problème comme une opposition peul à son pouvoir. Aujourd'hui de moins en moins, il est capable d'utiliser cet argument, avec l'arrivée de l'ADP qui comprend en son sein, les leaders provenant même de la haute Guinée ; et qui ont été les challengers de taille pour le professeur Alpha, au premier tour surtout de l'élection présidentielle ; donc, c'est ça en fait la dynamique qu'il faut comprendre ; et nous avons à faire à un pouvoir de Conakry, qui est violent de nature ; on entend tous les jours sur les antennes des responsables, ou des proches du pouvoir, qui disent que les opposants veulent envoyer des jeunes à l'abattoir ; en le disant ils oublient que le boucher, c'est l’État ; que chaque fois qu'il y a eu un mort, un blessé en Guinée à l'occasion d'une manifestation ; c'est parce que l’État a donné l'ordre. Et ici, quand on dit que l'opposition sort les enfants dans les rues ; il faut se demander où sont les enfants guinéens aujourd'hui ; 90% de ceux qui ont terminé les études universitaires en Guinée sont au chômage ; sans compter disons, toutes les autres couches. Ceci pour dire que le peuple de Guinée est déjà dans la rue. Et donc on a affaire à un pouvoir trotskiste, qui essaye de procéder quotidiennement, par la manipulation, les coups bas ; c'est pourquoi nous avons trouvé le qualificatif qui colle le mieux à la peau du professeur Alpha, il est professeur en géopolitique, et non en science politique en fait.

Guineeinformation.fr : Vous avez rencontré le groupe des amis de la Guinée, un mot?

Faya Millimono : Le groupe de contact, ou ce qu'on peut appeler aujourd'hui, le groupe des amis de la Guinée ; était à Conakry récemment dans le cadre d'une mission d'évaluation de l'évolution de la situation en République de Guinée ; surtout le dernier développement, qui a prouvé que la Guinée est, et demeure encore un État très très fragile.
Alors, ils sont venus, ils ont rencontré l’opposition, ils ont rencontré le pouvoir ; dans un premier temps pour savoir qu'est-ce qui se passe ; qu'est-ce qui est à l'origine du blocage du dialogue ; ensuite ils ont essayé de concilier les deux positions. Ils sont allés vers le pouvoir, qui a continué le langage du non,non, non à tout. Croyant être dans une situation comme entre les deux tours ; et à chaque fois que le non a été donné par le camp d'Alpha, on vient vers nous ; parce que notre position était plus ou moins conciliante ; et cette fois, nous avons insisté, et c'est cela qu'il faut mettre en évidence ; que nous n'avons reculé par rapport à rien ; nous avons rappelé les deux préalables ; sans la satisfaction desquels nous ne pouvons pas être autour d'une table de négociation avec ce pouvoir ; les deux préalables sont non seulement l'arrêt de toutes les exactions, mais la libération inconditionnelle de toutes les personnes interpellées. Et également puisque, l'un des points de discorde entre le pouvoir et l'opposition ; c'est cette affaire de la CENI ; nous demandons l'arrêt immédiat de toutes les activités de la CENI, en attendant le consensus politique que donnera le dialogue en perspective ; voilà.
Donc, quand on réaffirmé notre position, ils ont pris bonne note, ils ont dit qu'ils vont revenir, et donc, ayant compris où les contradictions demeurent, probablement la prochaine fois qu'ils reviendront vers la Guinée; ils viendront avec des propositions de solutions.

Guineeinformation.fr : Est-ce que vous avez eu des contacts avec le gouvernement depuis la suspension par la CENI de la révision du fichier électoral?
Faya Millimono : Écoutez, il y a des personnes qui s'offrent pour assurer la médiation ; notamment monseigneur Albert Gomez (Vice-président du CNT) ; parce que le jour que nous avons été à l'invitation du ministre de l'administration du territoire ; nous étions porteurs d'un message du collectif et de l'ADP ; nous avons fait lecture de ce message, qui comportait les préalables que je viens de citer ; et donc nous avons quitté la salle.
Logiquement, étant donné que le dialogue entre la mouvance d'un côté et l'opposition de l'autre ; à partir du moment où l'opposition, pour des raisons évoquées quittait la salle ; il ne devait être question de prendre une quelconque action à l'insu de l'opposition ; mais ceux-là, qui sont restés, notamment la mouvance et quelques partis satellites se sont retrouvés pour élire un bureau.
Maintenant, c'est ce bureau, dirigé par Albert Gomez, vice-président du CNT, qui vient vers nous pour demander la validation. Alors après multiples communications sur la question, nous avons recommandé que nous ne considérions simplement que le cas d'Albert Gomez, mais pas dans le cadre du bureau dont il était placé à la tête ; mais simplement parce que c'est un guinéen qui inspire une certaine confiance à la classe politique ; et donc du côté du collectif, et de l'ADP ; nous avons décidé de lui donner une chance, non seulement de faire obtenir nos préalables ; mais également après que les préalables seront satisfaits ; permettre de voir un certain dialogue serein qui puisse nous amener à nous entendre sur les différents points contenus dans notre mémorandum.

Guineeinformation.fr : Et si la CENI persistait dans la révision, sans faire l'audit du fichier ; qu'allez-vous faire, encore des manifestations ou le boycott des législatives ?

Faya Millimono : Pour l'instant, nous ne parlons pas de boycott des législatives ; mais toutes les options sont sur la table ; d'abord nous essayerons toujours par les moyens légaux ; nous essayerons de marquer notre désaccord ; notre mécontentement ; et lorsque, malgré tous les efforts qui seront fournis ; aussi bien par nous-mêmes, par la communauté internationale, ça n'aboutit pas et qu'on veuille faire le forcing ; créer une situation de fraude généralisée ; nous examinerons donc la question le moment venu, pour prendre la décision la plus responsable.

Guineeinformation.fr: Donc la Guinée risque de se diriger vers un pouvoir sans opposition parlementaire?

Faya Millimono : Ben en tout cas au jour d'aujourd'hui, au regard de l'attitude, du comportement du professeur Alpha et de son gouvernement; ce n'est pas exclu qu'on se retrouve dans une situation d'une opposition extra-parlementaire en République de Guinée.

Guineeinformation.fr : Le pouvoir accuse le collectif de vouloir créer une instabilité, afin de fragiliser le gouvernement ; pour éloigner les investisseurs, que répondez-vous?

Faya Millimono : La paix dans un pays, c'est synonyme d’existence de la justice ; hors dans notre pays ; nous savons que la justice est l'une de ces denrées rares. Lorsque les gens pensent que le fait de manifester un droit constitutionnel ; celui de manifester ; et cela également conformément à toutes les autres lois organiques de la République ; que les gens pensent donc, que cette manifestation est la cause de la fuite des investisseurs ; c'est qu'ils n'ont rien compris aux mécanismes d'investissement. La première préoccupation d'un investisseur, c'est la stabilité, c'est la justice, c'est l'existence d'un État de droit, un encadrement environnemental, en tout cas un contexte juridique qui s'y prête.
Ce n'est pas simplement en essayant d'étouffer l'expression libre des opinions, qu'on peut avoir les investisseurs qu'il faut ; vous savez, les dictateurs sur le continent africain ont toujours tenté d'ignorer les pays qui leur posent des conditions pour avoir de l'aide ; pour se tourner vers d'autres pays qui sont moins regardant sur les droits de l'homme par exemple ; mais nous savons que, dans aucun pays africain où cela a été de mise, nous n'avons vu véritablement un progrès.
Pour nous donc, nous sommes convaincus, que c'est en donnant la preuve que nous sommes capables de respecter collectivement et individuellement notre propre constitution ; que nous sommes capables de respecter collectivement et individuellement toutes nos lois ; qu'on aura montré la preuve; n'est-ce pas, au monde entier; que nous sommes fréquentables ; c'est pas en violant nos propres lois ; en étouffant les consciences qu'on peut y arriver.

Guineeinformation.fr : Merci docteur.

Faya Millimono : C'est moi qui vous remercie.

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