Interview Exclusive «M.Alpha Condé, aspire à la totalité du pouvoir en Guinée. Sa boulimie totalitaire, ne peut accepter voire tolérer une opposition dans le pays. Son manège actuel n’est que ruse pour atteindre son but » Dixit Bah Oury. Réalisée par Bah Bilima et Mohamed Sylla

La rencontre entre le président Alpha et les acteurs politiques du pays le 15 novembre dernier, la CENI, la crise sociopolitique du pays et les causes du blocage ,le feuilleton Dr Saliou Bella et la direction de l’UFDG, tout a été abordé par le numéro de l’UFDG , dans un langage sans détour. Interview.

Lejourguinee:Le Président Alpha Condé a reçu la classe politique guinéenne le 15 novembre dernier pour relancer le dialogue politique. Que pensez-vous de cette main tendue ?

Bah Oury:Avant de rentrer dans le vif du sujet permettez-moi de camper le contexte. Dans la dernière quinzaine du mois de mars dernier, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation convoque les partis politiques et la CENI pour les informer des décisions suivantes du Gouvernement :

La tenue des élections législatives dans le dernier trimestre de 2011

La reprise intégrale du recensement électoral

Au cours de la même réunion, il avait qualifié la CENI de structure inefficace, corrompue et qui mange à tous les râteliers. Dans mon intervention en tant que représentant de l’UFDG ,j’avais répondu que le Ministre Alhassane Condé vient d’anéantir les résultats de plusieurs années de dialogue politique certes heurtée et évoluant en dents de scie que l’opposition à l’époque y compris le RPG avait réussi à signer avec le PUP du vivant du Général Lansana Conté (l’indépendance de la CENI, le statut de l’opposition, le financement public des partis politiques et la libéralisation de l’audiovisuel). Pour conférer à ces accords une plus grande solidité, sur l’impulsion du Doyen BA Mamadou, des projets de loi furent introduits auprès de l’Assemblée Nationale qui les adopta. Ces progrès, n’ont pas été octroyés mais sont le fruit des luttes de l’ensemble des forces vives du pays. Poursuivant mon intervention, je déclare que le gouvernement procède à un coup d’Etat institutionnel en violant des dispositions clé de la Constitution guinéenne que M. Alpha Condé à jurer de défendre et de faire appliquer lors de son investiture le 21 décembre 2010.

Ainsi pour le Gouvernement, le dialogue politique se résume à les accompagner dans le viol de la constitution pour leur permettre de remettre en cause une possible alternance politique, paisible . C’est pour refuser ce diktat qu’une vingtaine de partis politiques s’organisèrent autour de l’UFDG, l’UFR, la NGR ,NFD, la GCI….

Pour contourner les prérogatives constitutionnelles de la CENI, un partenariat technique fut signé en catimini entre M.Loucény Camara et M.Alhassane Condé. Ainsi de fait, la CENI est ravalée en un appendice du MATD. Cela est contraire aux dispositions du code électoral et de la constitution.

Du mois d’avril à fin octobre 2011,le Gouvernement parachève ses préparatifs sur le plan institutionnel (mise sous tutelle de la CENI, dissolution illégale de prés d’une trentaine de conseils communaux pour ériger à la place des délégations spéciales composées de responsables du RPG, limogeage de tous les chefs de quartier qui n’émargent pas dans la mouvance présidentielle, et enfin main mise totale sur l’administration territoriale par le RPG),sur le plan logistique (signatures des contrats avec les prestataires de service pour engager le recensement électoral, achats de kits, recrutement et formation des agents recenseurs ) et sur le plan politique ( neutralisation des forces politiques et militaires susceptibles de contester le régime d’où la brutalité de la répression lors du retour du Président de l’UFDG le 3avril 2011,arrestations arbitraires de civils et militaires sous le prétexte fallacieux d’un attentat le 19 juillet 2011,massacres de manifestants les 27et 28septembre 2011 ,et enfin renforcement des dispositifs répressifs avec une milice armée « les donzos » et règne de la terreur avec comme chef d’orchestre le Commandant Resco Camara ,gouverneur de la ville de Conakry).

Toutefois il faut préciser qu’après sa rencontre avec le Président Obama et les multiples pressions diplomatiques des Nations Unies et de la Communauté Internationale il feint l’ouverture en « graciant » quelques détenues politiques injustement incarcérées le 03 avril 2011 et en « tolérant » la présence d’El Hadj Cellou le Président de l’UFDG dans le pays à la fin du mois d’août.

Ainsi, pour moi la rencontre du 15 novembre 2011 n’ouvre nullement une hypothétique relance du dialogue politique mais inaugure une nouvelle étape de la stratégie de M.Alpha Condé pour faire entériner de fait les violations de la constitution et les mesures illégales prises précédemment. C’est le baiser de Judas.

Etes-vous optimiste pour une sortie de crise suite à cette ouverture politique ?

Comme je vous l’ai dit, la deuxième phase de la politique des autorités guinéennes vient d’être engagée. Le gouvernement guinéen considère qu’il n’est plus possible de remettre en cause la gestion des communes urbaines et rurales par ses délégations spéciales. Le recensement électoral conçu et géré par la société sud-africaine totalement acquise au RPG entre dans une phase opérationnelle et Loucény Camara, accélère la mise en œuvre des dispositifs électoraux comme il l’avait fait entre les deux tours des élections présidentielles de 2010. Aussi le système répressif s’organise et se renforce et l’Etat-RPG devient une réalité. Pour Alpha Condé, les déclarations de principe de ses adversaires l’amusent car pour lui « le chien aboie et la caravane passe ».

Deux objectifs sont inscrits dans son agenda .D’abord, « jouant »la décrispation politique il répond aux multiples pressions de la communauté internationale qui cherche avant tout la stabilité du pays et qui réclame « l’instauration d’un dialogue politique » comme voie de sortie de crise. Celle-ci pourra se satisfaire de la diffusion des images où les « partenaires des forces vives se tapent sur le dos, comme de vieux amis ». Ensuite, pour donner un semblant de crédibilité et rendre acceptable aux yeux de l’opinion internationale, les résultats des prochaines législatives il faut faire participer « l’opposition » au scrutin. Pour ce faire, une commission de dialogue pilotée par le Premier Ministre et le Ministre de l’Administration du Territoire donnera des gages aux partis politiques pour que ceux-ci trouvent des arguments pour justifier leur participation sans pour autant avoir obtenu des concessions essentielles devant mener à des élections transparentes ,crédibles et justes seules en mesure d’assurer une évolution pacifique à moyen terme du pays.

M.Alpha Condé, aspire à la totalité du pouvoir en Guinée. Sa boulimie totalitaire, ne peut accepter voire tolérer une opposition dans le pays. Son manège actuel n’est que ruse pour atteindre son but.

Le Président de la République a demandé à ce que les leaders politiques se retrouvent avec le comité créé pour la relance du dialogue afin de trouver une date consensuelle pour les élections législatives. Quel est votre avis ?

Ce n’est pas la date qui est essentielle. D’ores et déjà Messieurs Alhassane Condé et Loucény Camara ont piégé l’organisation du processus électoral. Faut-il fermer les yeux et se faire hari-kiri en fixant dans le cadre d’un pseudo-comité de relance du dialogue, une date d’organisation d’élections législatives sur des bases frauduleuses et anticonstitutionnelles.

L’une des exigences de l’opposition, c’est le gel des activités de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Cependant, nous constatons que cette institution continue au mépris de l’opposition ses activités. Pensez-vous franchement que le Chef de l’Etat est capable de faire revenir de la sérénité à la Ceni marquée par des dissensions internes et externes ?

Le gouvernement a violé la constitution. Il n’a pas respecté le code électoral. Il a mis bas les prérogatives constitutionnelles de la CENI. Il a eu le code d’accès du fichier électoral ce qui ne garantit plus son intégrité. Un recensement électoral illégal est entrain d’être programmé par une société sud-africaine dont la crédibilité est douteuse. Des responsables de la CENI sont démis de leurs fonctions d’autres ont démissionné. Nous devons ouvrir les yeux et reconnaitre que la gouvernance d’Alpha Condé n’a cédé aucune concession et continue allégrement à dérouler son agenda politique sans se préoccuper des récriminations de l’opposition en se disant de « toutes les façons comme ils veulent être députés, ils finiront par accepter n’importe quoi ».

Cette CENI en toute objectivité a ruiné l’image de l’institution et n’est pas en mesure d’organiser les élections législatives. La Cour Suprême qui joue le rôle de Cour Constitutionnelle aurait dû réagir pour l’invalider mais nous ne nous faisons aucune illusion .Cette même cour a refusé de rendre justice aux conseillers communaux illégalement démis de leur mandat.

Le pouvoir en place veut confier l’audit du fichier électoral au PNUD. L’opposition veut une consultation préalable avec toute décision impliquant qui que ce soit dans les réformes de la Ceni. Pour vous, est-ce une bonne démarche ?

Le mal est déjà fait. Un simple audit n’est plus suffisant. D’abord une nouvelle CENI est indispensable avec des garanties de crédibilité et de transparence que la CEDEAO, les Nations Unies et l’Union Européenne devraient appuyer à l’image de la certification internationale pour la Côte-d’Ivoire. Prendre les problèmes à la légère peut se révéler très dangereux pour la stabilité et la paix en Guinée.

Ensuite pour contrecarrer les dispositifs du système répressif que M.Alpha Condé a renforcé avec sa milice privée qu’il a armé « les donzos », il est nécessaire que la Communauté Internationale prenne conscience de l’indispensable besoin d’une « force militaire sous la bannière des Nations Unies pour participer au maintien de l’ordre et encadrer les forces de défense et de sécurité du pays. On me dira que la Guinée n’est pas à feu et à sang .C’est tant mieux, mais pour que cela dure des mesures préventives urgentes doivent être prises pour éviter que ce pays ne bascule dans la violence. Des mesures préventives sont moins coûteuses et humainement plus intéressantes que le rôle de sapeurs pompiers pour éteindre un incendie qui est encore évitable.

Changeons de débats. Au sein de l’UFDG, il y a une guéguerre entre Dr Saliou Bella et le président du parti voir le bureau exécutif ? Peut-on savoir aujourd’hui les vrais problèmes de cette dichotomie ?

Le vrai problème est la rencontre à l’insu des instances dirigeantes de Dr Saliou Bella et de M.Alpha Condé. Dans un premier temps il a nié la véracité de cette rencontre pour finir par avouer « qu’ils se sont vus trois fois » selon un de ses proches. L’UFDG à savoir le conseil politique et le bureau exécutif n’ont jamais été informé par l’intéressé ni avant, ni après. En plus il s’est activité dans des actions qui nuisent à la cohésion et à l’intérêt du parti. Je ne vais pas aller jusqu’à confirmer des propos diffamatoires et de délations qu’il aurait proférés. Personnellement, cela ne me surprend guère de sa part.

Dr Saliou Bella veut ramener ce différend politique majeur comme une affaire entre les localités de Dalein et de Dionfo (sous-préfecture de Labé). De ce point de vue il fait fausse route. El hadj Cellou lui a demandé de s’expliquer au niveau du parti ….wait and see. Le parti statuera lorsque le délai qui lui est imparti sera terminé.

Pour vous, qu’est-ce qui cause le blocage actuel du pays ?

Je n’ai pas la prétention de connaitre les multiples raisons qui enferrent notre pays dans la stagnation et le refus du développement et de la modernité. Je distingue quatre causes principales.

La Guinée est sacrifiée par ses élites politiques. Peu d’entre nous est animé par des convictions démocratiques fortes. Pour beaucoup l’action politique n’est qu’une autre forme pour couronner une carrière administrative et ministérielle. Les convictions fluctuent au gré des intérêts susceptibles de leur assurer la signature « d’un décret présidentiel » pour les placer. Il n’ y a aucune constance, seul compte l’ambition personnelle .Le reste, n’est que discours, vite renié dés que le vent change de direction. C’est l’un des maux les plus graves dans notre pays. Difficile dans ce contexte d’avoir des interlocuteurs crédibles et désintéressés. Regardez vous-même, autour d’Alpha Condé nous avons les mêmes qui étaient avec le Général Lansana Conté. Si le Général pouvait les voir, il allait se retourner dans sa tombe.

En dépit d’une histoire multiséculaire de brassages de peuples et d’ethnies divers, d’édification d’empires qui ont rayonné sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest et d’émergence de cultures et de civilisations brillantes ,les élites guinéennes sont corrompues par l’ethno-stratégie. Mais cela n’est qu’un avatar de la mise en place de réseaux mafieux pour s’accaparer des ressources publiques par le biais d’un appareil bureaucratique marqué ethniquement. Le modèle parfait de ce schéma est la gouvernance d’Alpha Condé. Il n’hésite même pas de déclarer « le RPG est au pouvoir, par conséquent il doit chasser de l’administration publique tous ceux qui ne sont pas du RPG » arguant qu’aux Etats-Unis les démocrates à la Maison Blanche remplacent les républicains. Ainsi d’une alternance politique, nous passons à une alternance ethnique dans notre pays. Mais tout cela, n’a rien à voir avec une gestion républicaine, moderne et démocratique du pays, c’est la main mise de toutes les ressources nationales au service exclusif d’un clan ethnique et familial qui s’apparente à celui du Chef de l’Etat et de ses alliés. Toutes les gouvernances qui se sont succédé depuis l’indépendance en 1958 ont fonctionné selon ce modèle que les sociologues appellent la « politique du ventre » dans le cadre de l’Etat néo-patrimonial. De manière plus prosaïque, cela veut dire, corruption, mauvaise gouvernance, discrimination ethnique, négation de la citoyenneté et des compétences, mesures arbitraires et répressives, absence de démocratie, culte de la personnalité, négation du droit et de la vérité, misère et culte de l’irresponsabilité ,et enfin refus de la modernité et du changement démocratique.

La faiblesse du leadership politique collectif a mené toutes les luttes engagées depuis 2006 pratiquement dans l’impasse. Malgré les multiples sacrifices ,les abstentions généralisées sur l’ensemble du territoire au référendum 2001, aux élections législatives de 2002 et aux présidentielles de 2003, les grèves générales de 2006 et 2007, les massacres d’innocents en juin 2006, le 22 janvier 2007 et le 28 septembre 2009, les mutineries militaires de mai 2007 et mai 2008 ,la transition sous la férule du CNDD et les élections présidentielles de 2010 n’ont pas permis à notre pays de sortir d’une crise qui ne fait qu’enfoncer davantage les guinéens dans la misère et d’effriter dangereusement le sentiment national. Les élites politiques et militaires sont responsables de cette situation. Il n’y a pas une fatalité de l’échec et l’impossibilité de redresser la Guinée. Mais il faut nécessairement pour une sortie de crise durable, un profond changement du leadership politique en Guinée. Les nouvelles générations doivent prendre conscience qu’’elles ont l’obligation de s’impliquer et de revendiquer toute leur place. Pour qu’elles réussissent il faudra tourner le dos à la mentalité politique qui a corrompue la société guinéenne depuis l’indépendance et renouer avec les idéaux qui ont fait déferler les jeunes dans les rues en janvier – février 2007. La relève doit prendre ses responsabilités pour assurer la rénovation de la classe politique qui a montré ses limites. Alors l’’espoir sera permis. La Guinée s’en sortira, car j’ai confiance en l’avenir de notre pays.

Enfin, l’élite intellectuelle joue insuffisamment son rôle. La culture du débat démocratique est encore faible. Ceux qui travaillent dans la fonction publique sont peu ou prou très fragile. L’université guinéenne est encore marquée pat la pensée unique vestige des discours fleuves des années 70, du Responsable suprême de la révolution qu’Alpha Condé ambitionne de réhabiliter.

Ces blocages ne sont pas immuables. Le vent du changement n’est qu’assoupi comme le calme qui précède la tempête. Verra bien qui vivra.

En dépit de l’élection d’un président civile, le pays est isolé par la communauté internationale. Est-ce par manque d’ouverture politique à l’opposition ou bien c’est la mode de gouvernance instaurée par Alpha Condé qui fait peur aux investisseurs ?

Le Chef de l’Etat guinéen n’inspire pas confiance. Il a raté les opportunités pour faire converger vers lui les aides dont le pays a besoin. Mais aussi il n’a fait aucun effort dans ce sens. Si, deux ou trois mois après son investiture, il avait œuvré à organiser des élections législatives crédibles et sincères alors il aurait contribué à débloquer le financement des 9éme et 10éme FED de l’Union Européenne. Il a refusé d’appuyer sur le déclencheur. Il a préféré les dérives dictatoriales….il lui est difficile de revenir en arrière. Il est l’artisan de son propre échec.

Lejourguinee: Mr Bah Oury,nous vous remercions de votre disponibilité


Bah Oury: C'est à moi de vous remercier pour le noble travail que vous faites tous pour notre pays, du courage surtout.


Propos recueillis par Bah Bilima et Mohamed Sylla

Lejourguinee.com

Mise à jour le Dimanche, 20 Novembre 2011 19:44


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