interview :Claudine Suret-Canale, artiste peintre

Claudine Suret-Canale,artiste peintre :« J’ai commencé à peindre à l’âge de 6ans »Claudine Suret-Canale, artiste peintre. Agée de 62 ans. Elle a connu la Guinée dans les années 60 à 65 alors qu’elle avait 14 ans. Son père Jean Suret-Canale, professeur d’histoire et de géographie était invité par le président Sékou Touré à venir travailler en Guinée après le départ des cadres de la France métropole,suite au Non du 28 Septembre

Nenehawa.com : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans la peinture ?

Claudine Suret-Canale : J’ai commencé à dessiner depuis ma tendre enfance. J’ai trop dessiné. En fait, je suis issue d’une famille d’artiste peintre : ma grand-mère était peintre, mon aïeul était peintre, mon oncle était sculpteur. Et quand je suis arrivée en Guinée dans les années 60, avec mon père, ma mère et mes frères et sœurs, on est parti sur les pistes du Fouta Djallon. Dans les années 60 c’était magnifique. On a vu une horde d’animaux qui passaient, des singes. Il a fallu 20 minutes pour laisser passer et j’étais éblouie par cette faune que je ne connaissais pas. Je connaissais les animaux mais en France c’était dans les eaux. Ça m’a fait une révélation d’une liberté de vivre. C’est ça qui a déclenché les génies que j’ai commencé à faire en Guinée.

Quels messages que vous véhiculez à travers la peinture que vous faites ?

Je ne sais pas si on peut l’appeler message, mais j’ai envie de communiquer ce que j’ai connu, c’est-à-dire cette beauté de la nature, cette faune et cette flore, cette merveilleuse beauté que cela représente. C’est quelque part l’envie de protéger. Moi maintenant, j’ai 62 ans et ce que j’ai vu quand j’avais 14 à 15 ans, je ne vois plus la même chose et ça fait peur. On garde donc ses souvenirs d’enfance comme tout le monde et c’est constructif parce qu’on a de beaux souvenirs d’enfance, c’est quelque chose de merveilleux.

Depuis quand avez-vous commencé à peindre ?

J’ai commencé à peindre tout de suite très jeune, c’est-à-dire dès l’âge de 6 ans. L’institutrice avait remarqué que mon père était très engagé politiquement et j’étais sur le même banc que l’as zigane et tout le monde venait me dire : ‘’ah la petite tzigane, tu vas voir ; elle a des poux, elle est sale’’ ; puis elle a regardé. J’ai vu une petite fille qui avait très peur ; alors je me suis dit : ‘’c’est ça l’enseignement ?’’. Alors j’ai refusé d’aller apprendre à écrire. Donc, j’ai commencé à rêver, à dessiner, mon seul moyen de communication était en fait le dessin et c’est resté le dessin.

Vous avez séjourné en Guinée de 1960 à 1965-1966 et depuis, vous êtes retournés en France vous n’êtes plus jamais revenue en Guinée ?

Les événements politiques ont fait que je ne pouvais plus revenir en Guinée puisque si on ne rentrait en France toute la famille serait exclue de la société française. Donc, on n’a pas pu revenir en Guinée pour des raisons politiques.

Et quand vous êtes arrivées ce mois-ci, avez-vous trouvé des changements ?

La ville de Conakry a complètement changé parce que dans les années 60 c’était des villages. Il y avait bien sûr la partie de Conakry qui était tenue par des anciens colons. Moi, j’étais inscrite dans une école primaire et j’étais la seule blanche dans cette école. J’avais une amie noire qui m’invitait souvent dans sa famille où j’allais souvent manger. Je partais aussi dans le village des pêcheurs à Boulbinet. A cette époque-là, rien n’était construit.

A combien d’expositions d’art plastique avez-vous participé ?

J'ai commencé à exposer en 1979. J’étais invité par le gouvernement Polonais et j’ai exposé au Musée de Vros-roive en Pologne dans différentes villes ; c’était l’année de l’enfance. J’ai consacré les premiers ateliers à travers mon travail autour de mes expositions. Et déjà je peignais l’Afrique. Ce qui était extraordinaire dans ces ateliers –là, c’est que les Polonais allaient plus loin que moi encore. C’est là que je me suis dit mon imagination, chose que j’ai rapporté de mon enfance, ça donne fort un bon résultat puisque les enfants qui y voient ça leur imagination va en Afrique. Ça c’est merveilleux. Cela faisait travailler aussi l’imagination des enfants.

La Guinée a peu d’artistes peintres comme vous le constatez. Quel message faut-il lancer aux nouvelles autorités guinéennes pour promouvoir l’art et la culture guinéenne, vecteur de tout développement ?

L’artiste est un créateur et le créateur représente la culture de son pays et ses racines. Effectivement, il est très important de garder – on ne peut dire qu’il faut faire la même chose qu’en France ou aux Etats-Unis – je pense que, effectivement une école d’art en Guinée qui va s’ouvrir pour garder la culture, les traditions de la culture guinéenne. C’est très important puisque ce sont les racines. Et sans les racines, on a rien du tout. Ouvrir une école des arts, c’est ne pas oublier ses racines et c’est une force pour demain sur l’identité. Sans identité, on voit d’ailleurs en France des enfants qui n’ont plus les racines françaises, ils sont coupés de leurs racines véritables. Donc, ils sont en fait, apatrides. Ils ne peuvent rien défendre, surtout lorsqu’il s’agit de leur culture. Il est donc important de défendre ce dont on vient. Par exemple, lorsqu’on prend un paysan français pour travailler la terre guinéenne, il ne l’a connait pas, tandis que le guinéen lui, il connait sa terre, il va pouvoir la défendre, il va savoir quelle est la qualité et il peut mieux l’exploiter. Ce qui est donc important, c’est la défense de ses origines.

Y a-t-il eu de l’engouement depuis le lancement de cette exposition d’arts le 3 novembre dernier ?

C’est très important de voir les réactions des gens, surtout par rapport aux ateliers pour enfants. J’ai une grande expérience par rapport à ces genres d’ateliers parce que j’ai travaillé sur les Fables de la Fontaine. Je leur ai fait travailler un peu la composition. Mais quelque part, chaque enfant à quelque chose, une petite timidité ou un peu trop enthousiaste. C’est comment en fait arriver à canaliser ses émotions. Donc, la pédagogie à travers l’art, c’est ça, c’est-à-dire comment arriver à canaliser les émotions d’un enfant pour qu’il soit plus équilibré. Les ateliers ont eu un très grand engouement. D’ailleurs Mlle Sylvie Passebon qui fait partie de l’Association Art’And Co pense pouvoir ouvrir une école pour que les enfants en Guinée, parce que ça n’existe pas, puisse justement avoir la possibilité d’avoir cet enseignement de la peinture, du dessin et pouvoir se consacrer à cultiver ses émotions. C’est très important.

Quels sont les thèmes que vous avez abordés avec les enfants au cours de ces ateliers pour enfants ?

Avec les enfants, c’est les Fables de la Fontaine et à travers les Fables de la Fontaine c’est les dessous de l’être humain. Puisque la Fontaine qui lui-même s’est retrouvé dans des conditions de rejet – son protecteur d’avant qui était Faukette a été plus grand que Louis XIV puisque c’est lui qui gérait l’argent de Louis XIV. Donc, il l’a mis en prison et après il l’a envoyé dans une province et mis dans un château où il ne pouvait pas sortir et la Fontaine s’est retrouvé, plus personne ne voulait lui parler. Il avait peur, il crevait de faim et seulement deux femmes de l’aristocratie le faisaient passer par les portes du service et lui donnaient un peu d’argent pour qu’il mange. C’est là qu’il a eu l’idée d’écrire les Fables de la Fontaine. Donc, c’est des défauts et des qualités humaines parce que jusque là personne ne voulait toucher. Là il fait une recherche à travers les fables des hôtes : c’était des contes qu’on racontait pour veiller, raconter, pour prévenir les enfants des travers de l’être humain, c’est-à-dire les défauts et les qualités. C’est en fait les étiquettes qu’on met sur les gens ne sont pas forcément les bonnes.

Votre dernier mot ?

Je suis tellement heureuse d’être arrivée en Guinée et je souhaite pour la Guinée un développement à l’image qui lui ressemblera et qui mettra son peuple à l’abri du besoin.

Réalisé par Marc Sarah pour nenehawa.com




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