Interview de Mme Soumah M’Mah Camara, présidente de l’ONG ‘’Agir tous contre le cancer’’

Mme Soumah M’Mah Camara est présidente de l’ONG Agir tous contre le cancer en Guinée. Installée au Sénégal depuis plus de 7 ans, elle est obligée de revenir en Guinée pour créer cette ONG pour essayer de voir ce qu’elle peut faire avec les malades du cancer, et éventuellement avec tous les guinéens et les étrangers qui pourront l’assister pour la réussite de ses objectifs. Anesthésiste de formation, elle est mariée à Dr .Soumah Sékou Amadou




Nenehawa.com : D’où vous est venue l’idée de créer cette ONG ?


Mme Soumah M’Mah Camara : L’idée m’est venue de créer cette ONG parce que j’ai une mère qui a fait le cancer. Quand ma mère a fait le cancer, je l’ai envoyée à Dakar, parce que je suis installée là-bas. Arrivée à l’hôpital, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de guinéens qui sont venus pour des soins. Et à chaque fois qu’un malade rentrait, il sortait triste. Alors, je demandais : madame, qu’est-ce qui se passe. On me répondait, vraiment le médecin nous a dit qu’on est venu trop tard. Après, je me suis rendue compte que ma mère a détecté elle-même à 74 ans le cancer parce qu’elle a vu la publicité à la télévision Sénégalaise, la RTS. Donc, dès qu’elle a vu le boule dans le sein d’une femme à la télé, elle m’a montré ça et dès qu’on est parti à l’hôpital, elle a été opéré et actuellement elle est complètement guérie de son cancer parce qu’on est parti très tôt. Et mon mari étant médecin, à chaque fois qu’un guinéen quitte la Guinée pour venir se faire soigner à Dakar, on nous le recommande et c’est moi qui l’accompagne à l’hôpital. Je suis personnelle de santé, anesthésiste de formation.

Donc, à chaque fois qu’on part à l’hôpital, mes collègues me disent : ‘’Ah Madame Soumah, vous êtes venues un peu en retard et ça me faisait très mal au cœur. Alors, je me suis dit : au lieu de se battre pour trouver des CFA pour aller au Sénégal, il vaut mieux sensibiliser les gens sur la maladie du cancer. Comme ça, on pourra voir ce qu’on peut faire et les malades pourront se détecter tôt pour essayer de guérir de leur cancer ; parce que le cancer, c’est comme si c’est un tabou, à chaque fois que quelqu’un a le cancer, on dit tu vas mourir. Si on soigne à temps, on peut guérir de son cancer comme on peut guérir de son palu. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de créer l’ONG contre le cancer.


Depuis la création de l’ONG vous avez décidé de rentrer en Guinée. Arrivée dans ce pays qui est le vôtre, comment ça se passe ?


Pas très bien. C’est très difficile parce que l’idée des guinéens, c’est-à-dire on cherche le quotidien. C’est-à-dire le guinéen se dit tout le temps quand on dit à quelqu’un va à l’hôpital pour te faire soigner ou faire une consultation, on te répond : moi je ne peux pas aller me faire soigner parce que je n’ai pas les moyens, les ordonnances coûtent très chères et les médecins te donnent des faux diagnostics. C’est pourquoi j’ai demandé à certains collègues qui je connais comme Dr Bangaly Traoré qui est le médecin chef de la cancérologie de l’hôpital national Donka et d’autres collègues comme Aya Diawara et certains membres de ma famille comme Guy Coumbassa et tout ça, qui ont dit : écoute ! on n’est d’accord avec toi, on va créer l’ONG et on va essayer de faire ce qu’on peut faire pour les guinéens qui sont atteint du cancer , que ce soit de notre famille ou des autres. Donc, c’est ce qui s’est passé quand je suis arrivée ici en Guinée. Ça n’a pas été vraiment facile parce que à chaque fois que je posais la question à quelqu’un on me disait : non ! occupe toi d’autres choses, ça là tu ne pourras pas réussir. Je me suis dit que ça ne pourra pas être dans le vocabulaire du guinéen, ce n’est pas possible. L’impossible n’est pas dans mon vocabulaire, si on veut on peut. Donc, c’est comme ça que j’ai créé ça et j’espère que les guinéens me comprendront et on fera tout pour que nos malades, nos parents arrêtent de se torturer dans les pays voisins pour aller passer les nuits dans les hôpitaux et chercher des petits CFA avec la monnaie qui est difficile. Donc, c’est à cause de ça que je suis là et je crois que je vais me battre pour trouver la solution, inchallah.


Récemment, il y a la Banque UBA qui a organisé une campagne de sensibilisation par rapport à cette maladie et vous avez pris part à cette sensibilisation. Au jour d’aujourd’hui, quels sont les résultats que nous pouvons enregistrer par rapport à cette sensibilisation ?


Merci pour la question. Avec UBA, ça a été une première. Une première avec une banque qui est vraiment détachée de la médecine s’engage en Guinée à aider une ONG qui s’occupe des maladies. UBA m’a appelé par le biais d’une amie qui travaille là-bas pour me dire qu’ils organisent quelque chose pour le cancer de la prostate. Lorsqu’ils m’ont appelé, je leur ai dit que c’est vrai, il y a le cancer de la prostate, mais il y a beaucoup d’autres cas de cancer qui existe en Guinée. Et comme le cancer n’est pas connu en Guinée, on allait profiter de l’occasion pour lancer une campagne de sensibilisation et dire aux gens qu’il existe beaucoup de cancer en Guinée et qu’il y a un Service de cancérologie où on fait la chimiothérapie. C’est vrai que les médicaments coûtent chers, et qu’avec eux on pourra faire la campagne et les autorités pourront nous comprendre, nous aider à pouvoir trouver les médicaments maintenant en Guinée à moindre coût pour que les guinéens puissent se soigner comme les Sénégalais. Avec UBA, nous avons fait notre jogging, on dit Jogging to be, il y a eu une collecte des fonds et ces fonds sont encore à la disposition de la banque qui seront mis à la disposition de l’ONG dans la semaine du 10 décembre prochain. On prendra ces fonds pour les mettre à la disposition du Service de cancérologie qui pourra aider les malades du cancer.


Avez-vous un siège social ?


Pour le moment, le siège social se trouve au Service de cancérologie de l’hôpital Donka où nous faisons nos réunions dans le bureau de Dr Bangaly. On est une ONG très jeune et là on essaye de voir éventuellement, notre assemblée générale va se tenir juste après la remise des fonds, on verra comment trouver une structure, du matériel et tout ce qu’il faut pour essayer de s’engager activement dans ça. J’étais à Dakar et je suis revenue il y a de cela deux semaines. Je suis venue effectivement m’engager à fond pour essayer de mettre en marche tout ça et heureusement j’ai un mari qui me comprend et qui me soutien à soutien à cent pour cent.


Avez-vous enregistré des patients dans votre ONG puisque vous dites que les fonds qui ont été collectés par UBA sont déjà disponibles et dans les semaines à venir vous allez être en possession de ces fonds ? Je voudrais savoir une fois que vous avez ces fonds, comment allez-vous les utiliser ?


Oui nous avons déjà des cas que nous avons enregistrés dans notre ONG et Dr Bangaly qui est mon adjoint, il est allé pour un congrès en cancérologie en Egypte. Je devrais aller avec lui, mais j’ai un bébé de 4 mois, donc je ne pouvais pas me libérer. Il revient le 4 du mois prochain et à son retour, on prendra les fonds, on fera une réunion et on verra ce qui est possible de faire tout de suite, c’est-à-dire dans l’immédiat pour le Service de cancérologie. Si c’est les médicaments, on achetera les médicaments mais on essayera d’abord de préparer deux ou trois salles dans les meilleures conditions pour que les malades puissent faire leur chimiothérapie dans condition d’hygiène que tout le monde cherche. Ensuite, si les moyens nous les permettent on pourra acheter du matériel pour le Service d’anapathe qui n’a souvent pas de réactifs pour les examens d’anapathe. Là, on attend Dr Bangaly, quand il sera là je vais m’entretenir avec lui et le médecin chef du Service de l’anapathe qui nous dira quels sont les besoins de l’anapathe et on verra ce qu’on pourra faire pour les deux. De toutes les façons, le Service de cancérologie travaille avec celui de l’anapathe.


Entre le foyer et l’ONG dont vous êtes la présidente, comment arrivez-vous à gérer les deux ?


Je suis mariée il y a de cela 7 ans maintenant. Et comme je vous l’ai dit au départ, j’ai un mari qui est compréhensif et qui est médecin, il s’agit de Dr Soumah Sékou Amadou qui est chirurgien et moi je suis anesthésiste. Avec lui, je n’ai pas de problème parce qu’il sait quel est le rythme des anesthésistes. J’ai travaillé beaucoup dans les privés et dans la fonction publique. Donc, dès je ne suis pas à la maison ; je suis à l’hôpital et dès que j’ai une urgence je vais. J’ai travaillé avec mon oncle qui m’a élevée, le Professeur Guy Baldé qui est du Centre Mère et Enfant. Donc, à chaque fois j’étais à l’hôpital avant mon mariage. Après le mariage, j’essaie de gérer. Il n’y a pas de problème avec mon mari, quand il y a quelque chose qu’il peut faire lorsque je ne suis pas là, il le fait et si je suis là, je m’occupe de lui. Donc, dans ce sens je n’ai pas de problème avec lui. J’ai une bonne qui essaye de me gérer la cuisine et quand je suis là, je m’occupe de lui et des enfants.


Quel appel lancez-vous aux autorités guinéennes par rapport à cette maladie qui frappe beaucoup de guinéens pour que votre structure puisse atteindre ses objectifs, c’est-à-dire arriver à soigner ici en Guinée les malades du cancer ?


Ça nous intéresse beaucoup que les autorités guinéennes se mêlent de ça. Actuellement le Sida commence à être une épidémie en Guinée. Le cancer comme l’a dit le cancérologue la dernière fois tue actuellement plus que la tuberculose, le sida et le paludisme, les trois maladies réunies. Donc, les guinéennes ne savent pas c’est quoi le cancer. Ils ignorent et ils ne savent pas quand le cancer est détecté à temps, on peut le soigner et guérir de son cancer. Je vous ai donné l’exemple de ma mère qui a 74 ans et qui est guérie du cancer. J’ai une sœur qui est décédée du cancer à l’âge de 23 ans, elle a trainé dans tous les hôpitaux, impossible de trouver la solution. Elle ne savait pas qu’il y a le Service de cancérologie où elle pouvait se faire soigner. Je me dis, si le gouvernement nous assiste – c’est-à-dire en commençant par le ministre de la santé qui sait c’est quoi une maladie, qui sait c’est quoi la souffrance des malades et des parents des malades, il a été à l’hôpital avant d’être dans les bureaux climatisés – donc, qu’ils se mettent à la disposition de la population et lui, et le Président de la République et les membres du gouvernement, qu’ils ne voient pas seulement le côté du sida où on ramasse beaucoup d’argent.

Même les spécialisations, quand tu demandes à un médecin de se spécialiser en cancérologie, il te dit non je ne le fait pas parce qu’il n’y a pas beaucoup d’argent en cancérologie. Ils n’ont qu’à laisser les services où il y a l’argent pour s’occuper des services où ça coûte cher et où il n’y a pas d’argent. Les malades dépenses beaucoup et il n’y a pas d’argent là-bas parce que ce que le malade a c’est ce qu’il dépense en médicaments. Donc, toi tu n’as rien à gagner avec lui. Qu’ils nous ouvrent les mains lorsque nous allons les voir pour qu’ils essayent de nous aider pour notre campagne de sensibilisation.

On ne demande pas de fonds, mais juste qu’ils nous aident à avoir les moyens pour nos campagnes de sensibilisation. La Première Dame, c’est vrai qu’elle se bat pour la néonatal – elle dit oui c’est pour les enfants, les bébés – on est d’accord. C’est bien d’aider un bébé, mais c’est aussi bien d’aider la maman du bébé qui souffre du cancer parce que si le papa et la maman ne sont pas là, le bébé ne pourra rien. Donc, ils n’ont qu’à se retourner sur les malades du cancer et aider l’ONG à développer la sensibilisation, pas seulement à Conakry mais également à l’intérieur du pays. Les parents qui sont à l’intérieur du pays meurent du cancer, ils ne peuvent même venir à Conakry à plus forte raison aller à l’étranger pour se soigner. Eux, ils peuvent s’acheter des billets d’avion pour aller en Europe, au Maroc pour se soigner, moi ma maman peut aller au Sénégal ou en France pour se soigner, mais il y a d’autres qui ne peuvent même pas venir à Conakry. Donc, ils n’ont qu’à nous aider à faire des campagnes de sensibilisation pour que les malades sachent à l’intérieur du pays que quand on a une boule dans le sein, on peut aller voir un cancérologue qui pourra nous aider à guérir de notre cancer. J’ai le professeur Abdoulaye Bobo Diallo qui travaille avec nous et même à 4 heures du matin lorsque je l’appelle pour un patient qui souffre du cancer, il répond présent et s’occupe du malade.

La maladie ne prend pas de visa, elle atteint le riche comme le pauvre. Et quand elle frappe chez le pauvre, là ça fait plus mal parce qu’il n’a pas les moyens pour se soigner contrairement au riche. On dit aussi aux femmes, quand on veut on peut toujours. Ce n’est pas parce qu’on est femme qu’on ne peut rien faire. On peut mieux faire que les hommes parce que la femme a l’accès plus facile que les hommes. Par exemple, quand une femme et un homme se présentent dans un bureau, c’est la femme qui est d’abord reçue avant l’homme. Donc, les femmes doivent se lever pour nous aider à combattre le cancer, car le cancer est entrain de tuer. Et lorsqu’une maman meut, rien ne va plus dans la famille. Elles doivent nous aider à faire la sensibilisation à leur niveau, partout où elles sont pour qu’on essaye de développer l’ONG qui est pour tous les guinéens, pas pour moi seule, que ce soit en Guinée ou à l’étranger comme en Hollande ou en France qui essaye de nous contacter pour nous aider à faire ces campagnes de sensibilisation. Je pense que si on est uni, on peut faire quelque chose pour lutter contre le cancer.


Votre dernier mot ?


Je dis merci à UBA qui a commencé à nous mettre sur les rails, c’est-à-dire à nous donner des fonds. UBA est la première banque qui a essayé de nous aider et j’espère que les autres banques pourront lui emboiter le pas, ainsi que les Organismes internationaux ou le gouvernement. Tout le monde peut apporter sa pierre pour la lutte contre cette maladie. C’est cet appel que je lance à tout le monde pour nous aider à développer l’ONG pour mieux lutter contre le cancer. Avec leur soutien, nous pourront même construire un centre spécial où tous les malades pourront venir se faire soigner au lieu qu’on aille dans les pays voisins comme le Sénégal pour suivre le traitement. On ne demande pas seulement de l’argent, mais le matériel adéquat pour le Service de cancérologie. Nous ne ferons pas comme certains ministres qui ont eu à détourner de l’argent que les donateurs ont offert pour les malades et qui ont construit leurs propres cliniques. Nous, nous n’allons pas faire comme eux. Nous utiliserons l’argent et le matériel que nous recevrons d’eux à bonne échéance.


Interview réalisée par Marc Sarah pour nenehawa.com depuis conakry

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