Citoyenneté ou ethnicité en Guinée (Deuxième partie) : Identité ethnique ou citoyenneté républicaine ?

« Le cœur de chaque Guinéen balance »

Après plus de cinquante ans d’échec collectif causé principalement par des rivalités interethniques, la Guinée reste encore enlisée dans une dynamique « perdant-perdant » qui rappelle étrangement « la bague que le lépreux ramasse : il ne peut pas la porter, mais il ne veut pas la donner ! »

N’importe quel observateur, guinéen ou étranger de la vie politique de notre pays, constate aujourd’hui que le blocage sociopolitique est quasi complet en Guinée.

Ce blocage est comme une maladie chronique qui évolue depuis plusieurs décennies avec de temps en temps des crises aigües, notamment lorsque le pouvoir d’Etat doit changer de direction. Cela a été le cas en mai 1958, en juillet 1985, et surtout entre les deux tours en 2010.

Depuis l’indépendance le pays végète dans un état de « non guerre-non paix », à l’image d’un grand malade qui ne guérit pas, mais qui ne meurt pas non plus !

Sur fond de dissensions interethniques la Guinée n’a pratiquement jamais trouvé la véritable voie d’une réelle unité nationale.
Or l’unité et la concorde nationales sont les préalables à une vie politique apaisée nécessaire au débat démocratique.

L’état de déchirure du tissu social et de désunion du pays est tel que certains compatriotes, exaspérés ou désespérés proposent de faire sécession ! D’autres parlent de faire un état fédéral.

Malheureusement une sécession est toujours porteuse de conflit armé et le fédéralisme à lui seul ne règle pas le problème, car il n’apportera ni la paix ni la sécurité aux populations.

Il ne s’agit nullement de nier ou de dénigrer l’identité ou l’ethnie encore moins l’Identité ethnique de qui que soit. En effet chacun de nous a besoin d’une identité et aussi de son ethnie surtout en Afrique

Il est évident que dans plusieurs pays africains, l’ethnie a encore une signification et un poids sociologique très importants. Personne de sensé ne peut nier son identité ou son appartenance ethnique pour plusieurs raisons :

Premièrement c’est l’ethnie de chacun de nous qui détermine son « identité originelle ». Effectivement l’ethnie a un effet identificatoire indéniable. Notre ethnie est le fondement même de notre identité surtout dans les sociétés africaines. Cette identité n’est rien d’autre que notre égo, c'est-à-dire le « moi » en tant que conscience de soi.

Chacun de nous a une idée précise de lui-même et de son existence en tant que « moi-je » différent de tout autre être ou toute autre chose. C’est cette conscience de soi que les psychologues et les philosophes appellent le « Moi ou l’égo. » Cet égo ou ce moi a une fonction vitale pour tout un chacun, car notre survie en dépend !
Deuxièmement l’ethnie est le premier cadre de socialisation et de structuration de l’individu où chacun trouve au tout début de sa vie : amour filial, éducation, affection, protection. C’est à ce niveau que notre ethnie est notre nation originelle, nation ethnique, car le terme nation au départ se confond pratiquement avec celui d’ethnie ; c'est-à-dire à dire groupe humain de même origine.

De ce point de vue une ethnie est une nation, ce mot voulant dire au départ « groupe humain issu de la même origine. » A l’ origine toutes les communautés humaines ont été d’abord des nations ethniques. Ceci est particulièrement vrai dans notre pays où les communautés ethno régionales sont relativement bien tranchées, les quatre régions correspondent grosso modo aux quatre groupes ethnolinguistiques. Ceci pour des raisons géographiques et historiques.

La question n’est donc pas de nier l’importance et le rôle de l’ethnie dans la vie sociale collective de la personne dans les pays africains ; surtout en Guinée où l’emprise de la tradition reste très forte. En effet comme le dit Muriel Devey :

« La société guinéenne a conservé ses traditions et les pratiques sociales et religieuses… La famille constitue l’unité sociale de base, et il est difficile d’échapper à son emprise. »

Il est cependant difficile, voire impossible si l’on veut rester crédible de prétendre être démocrate, ou défenseur des droits de l’Homme, en restant emmuré dans le carcan ethnique. C’est là le Hic !

Les droits de l’homme et du citoyen concernent tous les hommes, pas seulement ceux d’une ethnie ! Au 21e siècle au moment de la mondialisation, l'ethnicisation à outrance de la vie politique entraine de facto un repli identitaire des acteurs de la vie publique sur leurs clans ; ce qui est manifestement source de division et de conflit.
En effet l’ethnicité mal comprise ou et mal « utilisée » devient un poison social mortel nommé ETHNOCENTRISME qui revêt à bien des égards des aspects d’égocentrisme voire d’égoïsme.

Cela est source de communautarisme et de division ; ce qui conduit les différentes communautés à s’enfermer sur elles même tout en excluant tout autre élément considéré comme étranger

Les problèmes naissent donc à partir du moment où l’ethnocentrisme se développe et se banalise dans la société. L’ethnocentrisme qui nous porte à privilégier les valeurs culturelles de l’ethnie à laquelle nous appartenons.

Tout individu ethnocentriste porte des préjugés sur les personnes n’appartenant pas à la même ethnie que lui, aussi il leur manifeste un sentiment de méfiance, d’hostilité ou de rejet.

Cette maladie sociologique est utilisée par certains politiques comme stratégie de conquête du pouvoir, c’est l’ethno-stratégie. Ce qui constitue toujours une bombe à retardement.

C’est pourquoi le président fondateur de l’Union des Forces Démocratiques (U.F.D.) feu Pr. Alfa Ibrahima Sow (paix à son âme) mettait en garde la classe politique guinéenne en 1997 dans une de ses célèbres conférences-débats sur le thème de la tentation ethnique :

« Poussé à l’extrême, l’ethnocentrisme se développe librement et dangereusement, on pourrait presque dire dans l’indifférence générale !Toute tendances confondues, les partis politiques, plutôt les ethnopartis, se positionnent chacun sur l’ethnie et la région de son leader, montrant sans vergogne et à visage découvert qu’il ne reculera devant aucune violence pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir, quelque soit les conséquences qui pourraient en résulter pour le pays ! »

Dans un climat de défiance généralisée n’épargnant hélas, aucune de nos communautés, notre pays souffre aujourd’hui d’un antagonisme Peul-Malinké qui est plus que nuisible à l’ensemble de notre pays.

C’est l’occasion de rappeler ici ce que Maître Barry a dit en matière de géopolitique guinéenne:

« L’axe géopolitique de la Guinée est : Ouest-Est ».

La Moyenne Guinée est intégralement comprise dans les limites du territoire et elle est une région charnière reliant la région côtière aux deux autres régions du nord et du sud du pays.
Personne ne peut nier que Malinkés et Peuls se livrent une bataille à peine voilée pour le leadership et le contrôle du pouvoir d’état en Guinée. Cette lutte peut conduire à un véritable suicide collectif, si nous ne prenons garde. C’est à ce niveau que la classe politique et l’élite intellectuelle sont interpelées ! Elles doivent se montrer à la hauteur des enjeux.

Ces deux communautés qui nourrissent entre elles une hostilité à peine voilée, l’on pourrait même dire une guerre froide, occupent plus de 60% de la superficie totale du pays et qui totalisent plus de 60% de la population doivent absolument trouver un modus vivendi, dans l’intérêt de toute la Guinée !

Afin de sortir de cet état de pathologie sociopolitique chronique, il devient impératif que nous arrêtions la stratégie « perdant-perdant » consistant à vouloir toujours exclure une des communautés ethno-régionales.

C’est pour casser la spirale infernale de la « stratégie perdant-perdant » que le Pr Alfa Ibrahima Sow (paix à son âme) a signé au nom de l’UFD en 1998 un accord avec le RPG sur un programme de gouvernement, ainsi il a été le directeur de campagne de Monsieur Condé Alpha candidat à l’élection présidentielle de la même année. Cet acte hautement politique avait été très apprécié par les connaisseurs de la géopolitique guinéenne.

Sans vouloir exclure personne, surtout pas les autres communautés de la Basse Guinée et de la Forêt, qui sont parties intégrantes de la nation et du processus de réconciliation.
J’insiste particulièrement sur ce point, les deux communautés majoritaires doivent sortir de leur rivalité qui ne fait que retarder l’ensemble de notre pays !

Je dis que le chemin de la Paix et de la concorde nationale passe par la construction d’une démocratie et d’un Etat de droit pour tous les Guinéens sans exception. Il faut nécessairement que Peuls et Malinkés enterrent leur hache de guerre pour adopter une stratégie « gagnant-gagnant », pour qu’enfin la Guinée sorte du marasme socio-économique.

Pour ce faire nous devons tous, à commencer par l’Etat, adopter une attitude citoyenne, car c’est l’égalité de droit et de devoir pour tous sans distinction d’ethnie, de région, de religion, devant la loi du pays ; c'est-à-dire la citoyenneté qui va nous mener à l’Etat de droit et à la démocratie, condition indispensable à tout développement socio économique.
Pour ce faire nous devons tous, à commencer par l’Etat, adopter une attitude citoyenne, car c’est l’égalité de droit et de devoir pour tous sans distinction d’ethnie, de région, de religion, devant la loi du pays ; c'est-à-dire la citoyenneté qui va nous mener à l’Etat de droit et à la démocratie, condition indispensable à tout développement socio économique.

Aucune ethnie ne fera son bonheur au détriment d’une autre ethnie, ou des autres ethnies, les intérêts des uns sont intimement et indissolublement liés à ceux des autres.

Pour qu’il y ait une paix durable dans une « cette République unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale, qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, d’ethnie, de sexe, de religion et d’opinion… » comme le dit la constitution : la classe politique et l’élite intellectuelle de toutes les communautés ethno-régionales ont une responsabilité historique, afin d’adopter une stratégie « gagnant-gagnant » ; aucune ethnie ne pourra exclure une autre de la Guinée.

Vive une Guinée unie et prospère.


Dr. B. Diakité

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