Affaire Diallo - Qu'est-ce qui attend DSK ?


Les avocats de l'ex-patron du FMI sont convoqués le 28 mars devant le tribunal du Bronx pour la première audience civile. Éclairage.

Dominique Strauss-Kahn devrait bientôt être fixé sur l'avenir de la procédure civile qui l'enchaîne encore à la justice américaine. Douglas McKeon a convié les avocats des deux camps à une audience d'"Oral argument" qui aura lieu le 28 mars prochain. C'est le premier rendez-vous judiciaire depuis le 8 août 2011, date à laquelle l'avocat de Nafissatou Diallo a assigné l'ex-patron du FMI devant le tribunal du Bronx.

Il n'est pas question à ce stade d'aborder les faits sur lesquels se fonde l'action de la plaignante, cette audience n'ayant pour objectif que d'éclaircir les incidents de forme exprimés de part et d'autre de la barre. À commencer par la question de l'immunité de DSK au moment des faits, soulevée par ses avocats en vue d'obtenir le classement de la plainte.

Classement de la plainte ?

Les avocats de DSK se réfèrent à la convention des Nations unies de 1947 sur les privilèges et immunités des "agences spécialisées", dont l'article 1 englobe notamment le FMI. Son article 21 précise que le président de l'organisation concernée bénéficie de l'immunité diplomatique prévue par la convention de Vienne de 1961. Or, objectent les avocats de Nafissatou Diallo, les règles du FMI limitent l'immunité aux "actes accomplis dans l'exercice des fonctions" de son agent, ce qui exclut selon eux toute possibilité d'immunité absolue. En outre, soulignent-ils, DSK se base sur un traité dans lequel les États-Unis ne sont pas partie prenante.

"Même si le pays n'est pas signataire de la convention de 1947, ses principes sont, selon les avocats de DSK, devenus du droit international coutumier en raison de leur acceptation quasi universelle, et ils s'imposent en tant que tel aux tribunaux de l'État de New York", nuance Ron Soffer, avocat aux barreaux de Paris et de New York. Mais Kenneth Thompson et Douglas Wigdor pointent encore la déclaration du 17 mai selon laquelle "la position officielle du FMI est que l'immunité du directeur général est limitée et ne s'applique pas dans ce cas".

Ils invoquent également l'article 22 de la convention des Nations unies, qui précise que les agences spécialisées "peuvent et doivent lever l'immunité d'un responsable lorsque cette immunité entrave le cours de la justice". Il apparaît donc peu probable que le juge déboute Nafissatou Diallo sur cette base. "Cela l'est d'autant moins que le département d'État américain - l'équivalent de notre ministère des Affaires étrangères - n'a pas soutenu l'immunité de DSK", note l'avocat new-yorkais et ancien substitut au parquet de New York Stephen Dreyfuss.

Contrainte, violence et consentement

Le juge devrait mettre son jugement en délibéré ou statuera immédiatement sur ce point. Puis il devrait reconvoquer les parties pour régler les autres questions en suspens, notamment la recevabilité de certaines preuves. Les avocats de Nafissatou Diallo menacent en effet de produire devant les jurés du Bronx les aveux de femmes se disant "victimes d'agressions sexuelles dans des chambres d'hôtel et des appartements utilisés par DSK dans le seul but de couvrir ses actes criminels".

Face à une défense fondée sur le "malentendu" ou l'"erreur" sous-tendant la relation sexuelle, il n'est pas impossible que le juge civil accueille dans l'escarcelle de la procédure une série de témoignages relatifs aux pratiques sexuelles de DSK. "Toute preuve est autorisée dès lors qu'elle se rattache à la cause de la plaignante", affirme Me Thomson dans l'un de ses mémoires.

Celui-ci a en effet l'intention d'éclairer l'affaire du Sofitel avec le projecteur de celle du Carlton de Lille. "À partir du moment où, dans sa défense, DSK déclare que c'est un séducteur qui n'a que des relations consenties, sans contrainte ni violence, mettant ainsi en avant ce qu'il prétend être sa personnalité, Mme Diallo pourrait alors exploiter cet élément pour démontrer qu'il n'est pas celui qu'il prétend être, même si ces éléments sont extérieurs au dossier", décrypte Marc Pierre Stehlin, avocat aux barreaux de Paris et de New York.

Procédure redoutable pour l'affaire du Carlton

Quoi qu'il en soit, la procédure civile s'annonce pénible pour DSK, contraint de subir au préalable l'épreuve de l'interrogatoire préliminaire (pre-trial deposition), qui consiste pour les avocats de chacune des parties à interroger la partie adverse sous serment sans limite (ou presque) de sujet. "Cette étape procédurale prendra probablement plusieurs mois et il semble évident que les avocats de Nafissatou Dialo exigeront le témoignage sous serment de DSK. On peut s'attendre à ce qu'ils se montrent très agressifs", souligne Fred Davis, avocat aux barreaux de Paris et de New York, et ancien procureur fédéral à Manhattan.

DSK sera-t-il tenu de témoigner ? "Il pourrait utiliser des astuces procédurales pour éviter de le faire ou du moins retarder l'échéance, mais cela ne jouera pas en sa faveur", présume Fred Davis. Cet interrogatoire sera ensuite consigné dans des documents pouvant se compter en centaines de pages. Pire, ce qui est consigné à New York pourrait se révéler redoutable pour l'affaire de Lille. "Rien n'empêche les avocats de Nafissatou Diallo de transmettre au juge français chargé de l'affaire du Carlton le transcript des déclarations sous serment de DSK", note Me Soffer. À l'inverse, aucune virgule du récit de la plaignante n'échappera à la sagacité des limiers de la défense. "Chacune de ses déclarations pourra ensuite être utilisée contre elle dans un procès civil", explique l'avocat new-yorkais Oleg Rivkin.

Et les contradictions sont déjà nombreuses entre la version initiale relatée par la plaignante aux autorités policières et aux responsables de l'hôpital St Luke's Roosevelt et ses dernières déclarations à la presse. Nafissatou Diallo a-t-elle dialogué avec DSK dans les termes rapportés aux journalistes de la chaîne ABC et à ceux de Newsweek ? DSK est-il en revanche resté silencieux tout au long de l'incident comme cela est indiqué dans le procès-verbal de l'hôpital ? Se trouvait-elle encore dans la suite 2806 lorsque DSK s'est rhabillé et l'a-t-elle regardé se vêtir comme elle l'a indiqué au personnel hospitalier ? S'est-elle au contraire enfuie avant comme elle l'a affirmé aux autorités de police et devant les journalistes ? Si le niveau de preuve devant un jury civil est bien moins contraignant qu'au pénal, reste que l'affaire repose sur le seul témoignage de la plaignante.

Le procès n'est donc pas pour demain. D'ici là, les parties pourraient transiger, et ce d'autant plus qu'un accord sur le versement d'une somme d'argent à la plaignante ne signe pas une reconnaissance de culpabilité de la part de DSK.

Source : http://www.lepoint.fr

Commentaires