Retour de Souleymane Jules Diop et de la démocratie au Sénégal

« La persévérance vient à bout de tout », comme dit un proverbe français.

« J’ai toujours pensé, contre ceux qui sont tentés par le découragement, que certes nous n’avons pas de présent, mais nous avons un avenir » clamait le journaliste-écrivain Souleymane Jules Diop (S.J. Diop) qui, de tous les citoyens sénégalais qui ont lutté contre le régime despotique des Wade, a été le plus assidu et le plus persévérant. A l'instar d'un autre journaliste-écrivain Abdou Latif Coulibaly qui avait parlé de « mécomptes » dans la gestion scandaleuse des chantiers de l’ANOCI qui a englouti 432 milliards de F CFA.
Ce dernier avait sorti son septième ouvrage en 12 ans intitulé « La République abîmée, Lettre à Abdoulaye Wade Yinghou » pour attirer l’attention des Sénégalais sur les dérives des ses gouvernants où il proposait un Observatoire afin que rien ne soit plus comme avant.

Quant à S.J. Diop, il est également celui qui prit le plus de coups dans cette bataille « Sénégal vs Wade » dont la fin, l'épilogue a eu lieu lors de l'élection du 25 mars 2012 scellant la victoire de Macky Sall élu quatrième président de la République du Sénégal depuis son indépendance de la France le 4 avril 1960 ; après Léopold Sédar Senghor (1906-2001) de 1960 à 1980, Abdou Diouf, de 1981 à 2000, qui est actuellement secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et Abdoulaye Wade depuis le 19 mars 2000.

La dixième élection pour un mandat de 7 ans du 26 février dernier, avec ses 5,3 millions de citoyens inscrits, a vu le président sortant âgé de 85 ans (hors TVA selon l'opposant Tanor Dieng du PS) et candidat pour un troisième mandat défait avec 34,20 % contre 65,80 % des voix pour M. Sall.

Beaucoup d'observateurs ont souligné au lendemain de l'élection du 25 mars 2012 que le Sénégal a conservé son « triple A démocratique » et montré la vitalité de sa démocratie dont les fondements y sont solides comme un roc, comme un bloc de granit. C'est une vue de l'esprit, car la réalité est tout autre : la démocratie ayant été confisquée, mise entre parenthèses et prise en otage par un clan qui voulait instaurer une dynastie au Sénégal, notamment au profit exclusif de Karim Wade.

S.J. Diop, en exil au Canada depuis presque dix ans, est actuellement de retour à Dakar pour assister à l'investiture du Président Macky Sall. J'imagine ses forts sentiments en sortant de l'avion sur le tarmac de l'aéroport international Léopold Sédar Senghor après un exil forcé.

I°) Souleymane Jules Diop : un leader d'opinion contraint à l'exil

Ancien journaliste au quotidien « Walfadjiri » où il a piloté le Desk politique, chroniqueur de renom, animateur d'un blog célèbre, ancien conseiller en communication et proche collaborateur de l'ancien Premier ministre Idrissa Seck, S.J. Diop fut l'ami intime de Karim Wade pendant de longues années.
Son dernier ouvrage est intitulé "Wade : L'avocat et le diable" (L'Harmattan, 2007). Il y révèle les dimensions cachées de la personnalité du chef de l'Etat et met le doigt sur des aspects brûlants de sa vie privée et de son parcours présidentiel. Il apporte des révélations inédites sur l'affaire Idrissa Seck, revient sur le meurtre de Me Babacar Sèye et aborde le fameux dossier de Taïwan.

Il m'avait été présenté à Paris par mon ami Mansour Guèye qui présidait « Res Publica », une structure de la société civile du Sénégal basée en France le jour où il organisait une Conférence publique en mars 2008 à l'université de Panthéon-Sorbonne sur le thème «L’Etat de la démocratie au Sénégal». Il s’y est livré à une vraie diatribe contre le régime libéral et son chef Me Wade :

- « comment il a pu payer la réfection de son avion à un montant qu’il a pu estimer à 17 milliards et que nous avions évalué à 30 milliards ».

- sur son divorce d'avec Idrissa Seck, il dira « peut-être que j’ai perdu un ami, mais je préfère continuer mon chemin avec la vérité ».

Pour information, avec Mansour Guèye et d'autres étudiants sénégalais qui résidaient avec nous au campus de l'université de Paris X - Nanterre, nous avions créé l'association « Big Sam », le nom d'un ami décédé.

Alors qu'il se préparait à interpeller Me Wade en pleine séance d’une conférence de presse à l’invitation de l’Association des journalistes noirs de Chicago en juillet 2008, il fut agressé violemment par sa garde rapprochée. La police dut intervenir pour l’extraire des mains de ses bourreaux qui ont commis cette forfaiture devant la presse américaine. Indignés par cet acte de violence, les journalistes américains n’ont depuis lors de cesse de critiquer les agissements du régime wadien en ayant une preuve concrète de ses rapports conflictuels avec la presse sénégalaise.

Un responsable de CNN, Roland Martin, interpellera Me Wade pour lui dire que cette agression était sans doute la preuve que les accusations exprimées par la presse sénégalaise contre son régime n’étaient pas totalement fausses.

C'est le même S.J. Diop déterminé et très en verve que la communauté sénégalaise de Rouen avait retrouvé le 17 mars 2012, invité pour exposer sur le thème « Les enjeux du second tour : quel choix pour les Sénégalais ? ».

Sans tergiverser, il expliqua de manière limpide les raisons du vote Macky Sall qui selon lui, « reste le seul antidote à portée de main contre le mal Wade (...) Les Sénégalais doivent protéger leur vote et se rendre massivement aux urnes pour se débarrasser du père de Karim Wade ».

S'il a appelé clairement à voter pour M. Sall, il a toutefois invité à rester vigilant : « Une deuxième duperie à la "Djombor" n'est plus tolérable parce que le peuple a changé. Macky devra composer avec toutes les forces vives de la nation sinon il ne fera pas long feu. Au soir du 25 Mars, un autre combat se dessinera. Une fois que Wade sera hors d'état de nuire dit l'homme de " Deg Deug " .

S.J. Diop était resté le dernier franc-tireur solitaire contre le régime de Wade, le journaliste africain exilé le plus célèbre. Seul contre la puissance financière des Wade, il refuse de plier. «Souleymane reste insensible à l'argent. Je ne vous dis pas ce qu'on ne lui a pas proposé pour qu'il renonce à son émission. Des enveloppes de plusieurs milliers de dollars aux promesses de paix totale avec Wade et fils, Jules a tout entendu, mais le jeune homme est resté droit dans ses bottes. Sur la place de Dakar, son opinion est respectée », précise un de ses amis.

« Je ne connais pas un dirigeant qui n'écoute pas son émission ou qui ne lit pas ses Dans le milieu politique également, ses propos sont respectés. Il défend le peuple, et il le fait mieux qui quiconque d'entre nous », indique un leader de l'opposition.

Il a rendu une grosse fierté aux bloggeurs sénégalais et africains. « Vous savez les posts de Souleymane sont devenus le blog francophone, voire africain, le plus lu. Je pense qu'il mérite du respect ».

Menacé de mort, S.J. Diop mit en garde Me Wade en mars 2006 dans son émission hebdomadaire à Radio Tam Tam le prenant comme responsable de tout ce qui pourrait lui arriver.

Il fustigeait sans cesse la transhumance politique et l'exercice solitaire du pouvoir : « C’est une autre bizarrerie de la politique d’ouverture initiée par Abdoulaye Wade. Ceux qui ont dissous leurs partis dans le PDS ont été les plus mal récompensés. Abdou Fall est réduit au silence, Serigne Diop à l’isolement, Mbaye Jacques Diop à l’oubli, Iba Der Thiam au protocole. Plastronnent au sommet de la reconnaissance Abdou Rahim Agne et Djibo Kâ, chefs de leurs partis (...) Sous Wade, Premier ministre est devenu un titre honorifique. Souleymane Ndéné Ndiaye n’est déjà plus qu’un vestige. Nous avions aussi un ministre des Finances, jusqu’à ce que le chef de l’Etat le dépouille de tout pour habiller son fils. Pour mériter le respect d’Abdoulaye Wade, il faut être courageux et bête. Puisqu’il veut que rien ne lui résiste, maître Wade est toujours à la conquête de nouveaux cœurs. De là lui vient que pour mieux l’intriguer, il faut lui résister ».


II°) Le requiem du Sopi

Le Sopi a connu une triste fin, une descente aux enfers, une poignante chute sans fin, Maitre Wade ne récoltant que 34,20 % à l'élection du 25 mars 2012.


1) L'homme de l'alternance

Orateur doué, fin tacticien, il mène, lors de l'élection présidentielle de 2007, une campagne rapide et efficace sous le slogan du « Sopi » (« changement » en wolof) et parvient à mettre fin à 40 ans de pouvoir socialiste au Sénégal, avec 31 % des suffrages au premier tour contre 41,3 % pour Abdou Diouf.

Grâce notamment à un fort report de voix de Moustapha Niasse (arrivé en troisième position) sur sa candidature, il obtient 58,1 % au second tour du scrutin.

Lors de l'a présidentielle du 25 février 2007, Wade est réélu dès le premier tour face à quatorze candidats, avec 55,79 % des voix.


2) L'avertissement sans frais des élections locales du 22 mars 2009

La victoire de l’opposition aux élections rurales, municipales et régionales fut un sérieux revers pour le chef de l’État. Mais aussi pour son fils Karim, qui briguait la mairie de Dakar sans le dire ouvertement, un poste qui devait le placer en bonne position pour succéder à son père à la tête de l'Etat en 2012.

« De manière non équivoque le peuple sénégalais a exprimé son rejet de la politique et des méthodes de gestion d’Abdoulaye Wade qui ont fini de ruiner le pays » déclarera Khalifa SalI le vainqueur et tête de liste à Dakar pour la coalition d’opposition Benno Siggil Sénégal.

Malgré cette défaite, Wade nargua ses compatriotes en nommant son fils au juteux poste de ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures.


3) La journée historique et le Mouvement du 23 juin (M23)

Abdoulaye Wade fut contraint au retrait de leur funeste projet de loi instituant un prétendu ticket présidentiel. Le chambardement du dispositif institutionnel était entrepris au seul dessein cynique de dévolution monarchique du pouvoir.

Ce jeudi 23 juin 2011, la société civile et les partis d’opposition sénégalais n’ont pas seulement remporté une victoire en obtenant le retrait du projet de réforme constitutionnelle. Ils ont aussi fait le constat qu’ils pouvaient faire reculer le pouvoir en s’appuyant sur la rue.


4) La sortie par le bas ou la descente aux enfers du Sopi

Un rapport rédigé notamment par Alexis Arieff à l’usage des Congressistes américains, titré : « Senegal - Background and Us relations », donne du Sénégal une image très mitigée où les mauvais côtés prennent le pas sur les performances.

Notamment les coupures d’électricité, le chômage, le prix de la nourriture, la situation socio-économique délétère, le trafic de drogue, la corruption et les tentatives du Président de prolonger son mandat. Dans certains cas, les manifestations ont conduit à des émeutes et à des violences. Cela a été dit avant les fameuses émeutes de l’électricité du 27 juin, et donc avant la contestation du 23 juin contre l’introduction d’une nouvelle clause dans la Constitution avec le « fameux quart bloquant ».

L'enjeu, l'alternative était la possibilité pour le pays d’affirmer et de consolider son avancée dans la pratique démocratique, si elles sont transparentes et pacifiques, ou comme une nouvelle occasion d’entacher définitivement la réputation du Sénégal si elles sont contestées.

Arieff rappelle qu’en 2009, l’ONG américaine « Freedom House» a sous-classé le Sénégal, le pays dégringolant du fait de la situation politique, des atteintes aux libertés civiles et, surtout, de la « croissance de l’autoritarisme du Président et du parti au pouvoir ». La corruption aussi s’étend et touche toutes les couches de la société, fragilisant le pays au plus haut niveau.

Le document juge ainsi que les nombreuses agences créées par l’Etat favorisent les manœuvres de corruption dans les structures de l’Etat. Il a illustré ce mauvais exemple par les cas de la société Millicom cellular dont la filiale Senetel chapeaute la marque Tigo dans la téléphonie mobile dans ce pays.

Alexis Arieff rappelle que deux officiels sénégalais avaient été accusés d’avoir voulu racketter la société de 200 millions de dollars, près de 1 milliard de francs Cfa.

Il y a aussi la fameuse mallette d'Alex Segura.

A côté de cette grande corruption, qui touche les riches et les haut placés, il y a la petite corruption dont souffrent les plus démunis, dans les hôpitaux ou du fait des agents de la police routière.

Les pouvoirs publics sont aussi attendus dans la lutte contre l’insécurité. Le Sénégal est devenu, par le fait du voisinage avec des pays comme la Guinée Bissau et la Gambie, ainsi que par sa proximité avec des zones de tension comme la Guinée et la Côte d’Ivoire par exemple, un espace de transit pour toutes sortes de produits de contrebande, ainsi qu’une plaque tournante pour le trafic de cocaïne en provenance des pays de l’Amérique latine et d’êtres humains en direction de l’Europe surtout.

Selon les sources de l’Organisation des Nations unies de lutte contre la drogue et la criminalité, cette vaste contrebande de drogue et d’humains représenterait plus de 8,2 fois le PIB du Sénégal.

Cette criminalité transfrontalière n’est pas bénéfique au pays, car elle accentue les inégalités sociales, créatrices de tension.

17% de la population sénégalaise sont mal nourries, 31% n’ont pas accès à l’eau potable, et que près de 60% des adultes sont analphabètes.

La sanction contre ce bilan sera implacable et sans appel, Maitre Wade ne récoltant que 34,20 % des suffrages exprimés.


Conclusion

La gouvernance Wade s'est engluée dans des relations incestueuses entre le pouvoir politique et l'affairisme, l'exercice solitaire et autoritaire du pouvoir,

« Il faut toujours se soucier de sa fin, de sa sortie » selon un vieil adage Soussou (une langue guinéenne) repris par le groupe musical Espoirs de Coronthie dans le titre "Tinkhindji" (Droiture en langue Soussou).

L'homme du Sopi, du NEPAD a raté sa sortie et n'appartiendra pas au Panthéon des grands hommes du Sénégal ; malgré certaines réalisations remarquables en matière d'infrastructures.

A méditer par tous les opposants devenus gouvernants, en prise à l'ivresse et aux prébendes du pouvoir et de l'autocratie ! L’obsession de la dévolution dynastique du pouvoir pour son fils, entre autres.

Mes remerciements et mes félicitations au "guerrier" et diambar Mansour Guèye pour leur victoire électorale et également de m'avoir fait connaitre S.J. Diop.

Mansour fut et demeure un grand animateur de la société civile sénégalaise au sein de « Res Publica », la section française de la principale coalition de l'opposition sénégalaise, « Benno Siggil Senegaal » et notre association « Big Sam » qui était le creuset de la jeunesse sénégalaise à Nanterre, en France et au Sénégal où elle eut des représentants.

Que Dieu préserve le Sénégal ma seconde patrie!


Paris, le 04 avril 2012

Nabbie Ibrahim « Baby » Soumah
Juriste et anthropologue guinéen

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