Interview d'Elhadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la grande mosquée


Elhadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la grande Mosquée Fayçal de Conakry : « Au lieu de créer des problèmes au président qui m’a nommé, je démissionne »

Le jeudi 17 mai dernier, El Hadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la grande mosquée Fayçal a accordé une interview à Guineenews TV. Au cours de cette interview qui a eu lieu dans l'enceinte de la mosquée Fayçal, au moment où l'opposition appelait à l''opération ville morte',les sujets brûlants ont été abordés. La situation socio-politique du pays, la crise à la commission électorale nationale Indépendante (CENI) et bien d'autres sujets. Avec le franc-parler qui lui est étiquetté le guide religieux a passé en revue tous ses sujets.

Nous vous proposons ici la première partie de cette interview.

Guinéenews TV : Au cours de cette interview, nous allons aborder les sujets de l’actualité. D’abord, comment se porte El hadj ?

El hadj Mamadou Saliou Camara : Dieu merci ! Je vais très bien. La santé est bonne, la famille aussi se porte bien. Par la grâce de Dieu tout se passe bien avec les fidèles.

Guinéenews TV : Si nous sommes là aujourd’hui avec vous, c’est parce que le pays ne va pas trop bien. C’est pour cette raison que nous sommes là pour échanger avec vous. Récemment vous avez été nommé co-président de la commission de réflexion sur la réconciliation nationale, où est-ce que vous en êtes aujourd’hui ?

El hadj Mamadou Saliou Camara : Je vous remercie d’avoir posé cette question. A plusieurs reprises, on m’a posé cette question. Que ce soit à la télévision ou à la radio. Vous comprenez la langue française mieux que moi. Quand on dit commission de réflexion sur la réconciliation nationale, certains font l’amalgame. On pense que les deux co-présidents doivent directement s’attaquer la réconciliation. Or ce n’est pas ça d’abord. Le président de la République a porté confiance aux deux religions (NDLR, religion musulmane et chrétienne) en faisant appel aux hauts cadres pour voir dans quelle mesure nous pouvons nous réconcilier entre nous, sans l’intervention des autres (NDLR, la communauté internationale).

Même si les autres viennent, c’est pour nous aider. Sinon, nous sommes nous-mêmes capables de nous réconcilier entre nous. Car quatre-vingt-dix-huit pour cent des Guinéens sont croyants. Musulmans et chrétiens. Alors, la foi religieuse ne permet pas à un fidèle de faire ce qu’il veut mais, un croyant fait ce que sa religion lui recommande. En ce moment, tous les dossiers sont presque prêts, il en est de même pour le programme de travail. On attend plus que quelques jours pour mettre le train sur les rails. Incha Allah !

Guinéenews TV : Tout à l’heure, vous parliez du président de la République, c’est lui qui vous a nommé tout comme Monseigneur Vincent Koulibaly. Nous allons y revenir. Aujourd’hui, la Guinée ne se porte pas trop bien. Pour preuve, nous sommes le 17 mai. Depuis un petit moment, l’opposition appelle à travers le pays. On sent que ça ne va pas. Quel est le regard du religieux que vous êtes sur la situation que vit la Guinée ?

El hadj Mamadou Saliou Camara : Avant de répondre à votre question, je dirai que ça va. Pour ma part, la Guinée se porte bien ! Pourquoi ? Jusqu’à ce jour, le peuple de Guinée n’a pas encore perdu confiance aux acteurs politiques. Je dis bien pour le moment ! Pourquoi ? Depuis l’indépendance, ceux qui luttaient pour la démocratie, à la tête de ces leaders, se trouvent l’actuel Président de la République et ses pairs d’hier qui sont encore dans l’opposition. On a entendu d’eux, qu’ils veulent instaurer la démocratie réelle en Guinée. C’est pour cette raison que je dis qu’on n’a pas encore perdu confiance en eux. Ils peuvent faire sortir la Guinée de la crise parce que chaque chose a ses règles.

Nous les Imams et prêtres, nous ne sommes pas des politiciens. Ce n’est pas pour autant que nous allons fermer les yeux à cent pour cent. Nous ne pouvons pas non plus dire que nous ne connaissons pas la politique. Nous sommes nés ici et avons grandi ici. Lorsqu’il y’a une crise politique, l’imam qui guide ses coreligionnaires, ne peut pas s’attendre à ce que les fidèles, sans la quiétude et la paix, se concentrent à la prière.

Donc la paix, n’est pas seulement à la faveur du Président de la République encore moins en faveur des opposants. C’est pour tout le monde ! Tout le monde doit savoir que la paix-là est très importante pour nous tous. Tout le monde doit la solliciter avant tout. Tout à l’heure, je disais qu’on n’a pas encore perdu la confiance. Les politiciens parlent de démocratie, ce sont eux qui savent ce que cela veut dire. Moi, je sais très bien que le peuple n’attend plus de dictature ici. On ne craint même pas ! Parce que, ceux qui sont aujourd’hui les acteurs politiques, pour nous, ils sont tous démocrates et patriotes. Mieux, ils ont pitié du peuple.

Quand on dit que demain il y’a ‘ville morte’, le lendemain, la ville vivra. Mais si moi je n’ai pas mangé hier, et que la ‘ville est morte’ aujourd’hui et qu’à la suite de cela je meurs, est-ce que demain je pourrai me lever ? Je ne pourrai pas ! Donc, qu’il y’ait ‘ville morte’ ou ‘ville chaude’, retournez à la table de discussion ! Asseyez-vous autour de la table pour discuter démocratiquement. La Guinée a voté une loi. Dans notre constitution, tout est prévu ! Aucun acteur politique n’a le droit de violer ce qui est écrit dans la constitution. Ils n’ont pas ce droit-là ! Personne n’a ce droit-là ! Personne n’est au-dessus de la loi. Ni l’opposition ni le chef de l’État et son gouvernement n’ont le droit de changer un petit point de la constitution.

Religieusement, le saint Coran nous a enseignés et instruits de dire : « Pourquoi vous les croyants, vous ne pratiquez pas ce que vous dites ? ». Si on dit quelque chose ou on écrit quelque chose comme loi, tout le monde, tout Guinéen doit se soumettre à cette loi. Ce n’est pas l’Imam qui va changer cela. Il n’a même pas les moyens de le faire. Même le gouvernement n’a pas ce droit. Parce que, très souvent, quand on est chef, tout est permis. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement n’a pas le droit de changer un petit point (Il appuie sur le mot). Il n’a pas ce droit. L’opposition aussi n’a pas ce droit. D’ailleurs, elle ne peut même pas le faire.

Alors, je demande à ceux qui sortent dans la rue et à ceux qui disent aux gens de sortir de retourner autour de la table. C’est le court chemin qui mène vers la réconciliation. Si les acteurs politiques discutent à l’amiable, le peuple vivra à l’amiable. Par contre s’ils se défient entre eux, c’est le peuple qui en pâtira.

Guinéenews TV : L’opposition justifie ces incessantes manifestations par le fait qu’on tarde à organiser les législatives. Raison pour laquelle, elle demande à ses militants de sortir dans la rue. Est-ce que vous pensez que c’est fondé ?

El hadj Mamadou Saliou Camara : Je ne rentre pas dans ces détails ! Parce que quand je parle, je parle des choses que je maîtrise. Pourquoi ils disent à leurs militants de descendre dans la rue ? Pour ma part, ils doivent tous retourner autour de la table. Je demande au gouvernement, au nom des Guinéens qui souffrent, parce que si vous remarquez quelque chose, en Guinée, il y’a quelque chose qui est un peu difficile. Un Guinéen peut rester dans un lieu, si la population dit : «nous ne voulons pas de toi, nous ne voulons pas de tes actions-là », il est complexé de reconnaître ses fautes ou ses torts.

Le président m’a nommé avec mon homologue Vincent Koulibaly pour réfléchir sur la réconciliation. Si vous voyez que le président m’a fait confiance pour cette tâche, quand je fais mon programme pour la réconciliation et que je vois que ça ne va pas, au lieu de créer des problèmes au Président qui m’a nommé, je démissionne ! Je dirai M. le Président faites appel à une autre personne qui pourra vous être utiles. C’est ce qui est arrivé à plusieurs chefs d’État ici, surtout l’ancien président qui est décédé ici (NDLR, Le président Lansana Conté).

Il y’a certaines personnes ici qui sont adulées par le Président et quand le peuple demande à ce qu’elles soient remerciées, le Président s’y oppose. Moi qui suis l’Imam de cette mosquée-là, si les choses commencent à se compliquer pour moi et que le monde réclame la tête de l’Imam Mamadou Saliou Camara, je quitterai avant qu’on ne me congédie. Cela sera à l’avantage du Président qui m’a nommé.

Guinéenews TV : Indirectement, je vois que vous faites allusion à ce qui se passe à la commission nationale électorale indépendante (CENI) où tout le monde demande le départ du président.

El hadj Mamadou Saliou Camara : Non ! Non ! Non ! Le problème de la CENI ne me regarde pas ! Moi je recommande aux Guinéens d’aimer la Guinée. Ayez pitié de la population ! Moi, on ne peut pas tuer une, deux, trois, quatre… personnes en mon nom. Je ne suis pas Président de la République ! Je ne suis pas Premier ministre ! Mieux vaut vivre dans la paix que de vivre dans l’anarchie. Que les acteurs politiques retournent autour de la table. Si c’est le gouvernement qui crée la pagaille… Si par contre c’est l’opposition qui veut organiser la pagaille, c’est nos frères, on peut leur dire aussi : « vous voulez être Président aujourd’hui. Chacun de vous veut être président. Qui peut être président et que pendant son exercice de pouvoir qu’il accepte qu’il y’ait de la pagaille ? Qui souhaite cela ? ».

Le chef de l’État aussi doit savoir qu’hier il était opposant et qu’aujourd’hui, il est le Président de la République. Hier il était le président du RPG, aujourd’hui, il est le Président de la République. Il est le Président de l’UFDG, Président de l’UFR, etc… Tous les président de partis politiques sont militants du Président de la République. Alors c’est lui qui commande ! Premièrement, on doit le respecter. On doit l’écouter, on doit l’aider ! En aidant le Président, on aide le pays ! Quand on perturbe le programme de travail du Président, on perturbe le pays !

Chacun d’eux a les moyens de nourrir sa famille pendant un, deux… mois jusqu’à ce qu’on trouve une porte de sortie. Mais tous les Guinéens ne peuvent pas s’offrir ce luxe ! Le président Alpha Condé peut avoir à sa disposition un avion qui viendra le chercher en cas de trouble ! Idem pour le président Cellou ou encore Sidya et autres. Ils ont des connaissances à l’extérieur. Mais le cultivateur qui est à la campagne, le petit commerçant, les Instituteurs comme nous, n’avons pas ces moyens ! Nous, on ne peut rien ! Alors qu’ils aient pitié de nous et qu’ils retournent autour de la table. Ce n’est pas comme ça qu’on va résoudre cette situation !

En Arabe, on dit quand tu veux faire des briques et qu’il y’a assez d’eau, au lieu d’attendre que cette eau soit absorbée, si tu ajoutes de l’eau encore, tu ne pourras plus faire de briques. Je vous remercie de m’avoir posé cette question. En répondant à ladite question, je ne réponds en faveur de personne. Je réponds au nom des Guinéens qui souffrent aujourd’hui. Je réponds au nom de ma religion qui demande de ne pas diviser.

On ne doit pas lutter tout le temps. Lutter tout le temps, c’est attirer la guerre. Chez les Soussou, on dit : « Guéré mâssô ! ». Si on ne cesse pas de lutter, la guerre sera à nos portes. C’est pour cette raison que les Soussou parlent de « Guéré mâssô ! ». Quand vous faites « Guéré mâssô !», vous attirez la guerre. On ne veut pas de « Guéré mâssô !» entre le gouvernement et l’opposition. Qu’ils retournent autour de la table ! Discutez à l’amiable et respectez la loi écrite par vous-même !

Dans nos prochaines éditions, nous vous proposerons la seconde partie de cette interview.

Interview réalisée par Serge Lamah

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