Lucien Bendou Guilao, Ministre des Guinéens de l’Étranger: : « Il est dans l’intérêt de tout le monde d’aller aux élections même si elles ne sont pas parfaites… »


« Il est dans l’intérêt de tout le monde d’aller aux élections même si elles ne sont pas parfaites… »

Au début du mois d’avril 2010 dernier, le Général Sékouba Konaté a effectué un voyage d’État dans l’Hexagone.

Il avait dans sa délégation M. Lucien Bendou Guilao, ministre des Guinéens de l’Étranger qui a bien voulu nous accorder une interview. Un mois plus tard, les questions qu’il traite dans cette interview sont d’actualité et ne sont toujours pas résolues. Le cabinet de son ministère qui doit se mettre en branle pour réussir sa mission n’est toujours pas constitué alors que dans deux mois, logiquement, une nouvelle équipe gouvernementale doit prendre la relève à la suite des élections présidentielles prévues pour juin 2010. Suivez plus tôt cette interview qui, malgré le temps, n’a aucunement été altérée…


Kibarou.com : C’est qui M. Guilao, le ministre chargé de Guinéens de la diaspora ?

Lucien Bendou Guilao : Je suis M. Lucien Bendou Guilao, j’ai quarante-huit ans, titulaire d’une maîtrise en sciences économiques. J’ai passé dix-sept ans chez Total d’où je me suis retrouvé au gouvernement. J’ai aussi eu une carrière de footballeur pour avoir été l’un des tout premiers professionnels Guinéens à évoluer dans un club étranger. Je suis un ancien international Guinéen avec au compteur une quarantaine de sélections. Marié et père de deux enfants.

Vous évoluiez dans le privé, aujourd’hui homme politique. Ça n’a été si compliqué de changer de costume ?

Vous savez, les choses arrivent sans que l’on ait une certaine emprise sur elles. Comme j’ai eu à le dire dans le passé, j’en avais marre de réagir à des niveaux de moindres importances. Je veux parler de salles de réunions, dans les restaurants ou dans les salons privés sur différentes questions sociales, économiques et politiques qui impliquaient la nation Guinéenne ou tout simplement la Guinée. Je me suis dit qu’il fallait s’engager, franchir le pas pour mieux se faire entendre. L’engagement politique était le mieux indiqué pour faire entendre sa voix. Cela ne pouvait se faire que par l’adhésion à un parti politique ou par la création d’une formation politique. J’ai opté plutôt pour la création d’un parti politique. C’est le Parti National pour le Renouveau – PNR. Je crois qu’on ne va pas nous étendre sur mon parti parce que, en ma qualité de ministre de la République d’un gouvernement de transition, il nous est imposé du recul et de la retenue.

Dans le privé, vous vous êtes déjà fait un nom, vous venez en politique avec certainement des visées autres non?

Je suis venu en politique pour ne pas être pris en otage. Comme je vous l’ai dit, pendant plus de cinquante ans (50 ans), l’élite guinéenne avaient fait main basse sur l’appareil de l’État en faisant comme bon leur semble, de telle sorte que, plus d’un demi siècle plus tard, nous sommes aujourd’hui une génération sacrifiée à quarante huit ans. Ce qui pendait au nez, c’est que nos enfants le soient aussi. Moi je me suis retrouvé un à moment donné avec un fils qui est Guinéen de l’Étranger et qui va avoir bientôt ses vingt-quatre ans avec un cursus de licencié en économie et qui se retrouve aujourd’hui confronter à un problème d’emploi. Il vit en France, il n’a pas d’emploi et en Guinée non plus il ne peut en trouver. Son retour se retrouve ainsi compromis en Guinée parce qu’il y a des gens, une certaine catégorie de politiciens qui a géré le pays et qui s’est trouvé dans l’incapacité de donner de l’emploi aux jeunes diplômés. Cet état de fait m’a permis de me réveiller. De manière égoïste, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, ne serait-ce que pour mon propre fils. Du coup, tu te dis, au-delà de ton fils, toute sa catégorie d’âge pourrait être sacrifiée si on n’essaie pas de faire quelque chose. Et pour faire bouger les choses, il faut nécessairement, selon mon entendement, faire de la politique, sous toutes ses formes.

Pour M. Guilao, que signifie être ministre des Guinéens de l’Étranger ?

Être ministre des Guinéens de l’Étranger c’est une lourde responsabilité. C’est un ministère assez transversal qui a beaucoup des responsabilités. Être l’interlocuteur de deux ou trois millions, selon les statistiques, de Guinéens vivant à l’étranger, c’est comme un ministère de l’Administration du territoire mais de l’étranger. Je mesure l’ampleur de la tache et je suis fier des défis qui vont avec. Le temps est court mais, il importe peu et faire avec. Pour moi, c’est l’occasion une fois pour toute de mettre en place des structures, de poser des actes qui vont pérenniser ce ministère. Il faut que ce ministère arrête d’être et de ne pas être. Cela passe par des actes concrets. Cela passe à la fois par la participation des Guinéens de l’étranger et du gouvernement. Je crois qu’il est temps qu’on réponde à deux questions fondamentales, c'est-à-dire : Qu’est-ce que nous attendons de la diaspora guinéenne, nous en tant que gouvernement ? Et qu’est-ce que la diaspora attend-elle du gouvernement de la République ? C’es deux questions doivent se poser dans le cadre d’un dialogue qu’on peut appeler « forum » par exemple. A la suite de ce forum, des recommandations vont être faites, des stratégies mises en place afin que ce ministère puisse jouer le rôle qui est le sien. Parce qu’il ne faut pas oublier, nous avons besoin de la diaspora guinéenne qui se sent brimée. Elle a envi de faire comme toutes les autres diasporas. Elle est un peu jalouse de la diaspora malienne, sénégalaise ou Cap-Verdienne qui fait beaucoup pour leur pays. Même la diaspora marocaine pour ce qu’elle fait pour le Maroc. Elle a envi d’être comme ces diasporas de ces autres pays. Elle a une opportunité à saisir. Côté gouvernement, la volonté politique est affichée. Le premier ministre en créant ce poste a fait savoir tout l’intérêt qu’il a pour les compatriotes de l’extérieur. Le Président de la République en validant le décret a lui aussi montré tout l’intérêt qu’il accorde à cette diaspora. Le chef de l’État, chaque fois qu’il s’entretient avec les Guinéens de l’étranger, fait savoir tout l’intérêt qu’il accorde à ses concitoyens. Il appartient à la diaspora de nous aider à les aider. J’ai l’impression que la diaspora guinéenne en Afrique voit les choses d’une toute autre manière que celle présente en Europe, notamment en France où ma première impression n’a pas été bonne. J’ai vu une diaspora assez divisée en France. Des associations de Guinéens assez divisées. Elles ne sont pas assez solidaires. C’est ma première impression, elle est toujours la bonne mais, je peux me tromper. J’ai eu à faire à deux interlocuteurs se disant représentatifs de la diaspora ici qui m’ont un peu déçu. Ils se tiraient des boulets de canon les uns sur les autres. Cela dénote d’une certaine ‘’animosité’’. Le mot est vraiment trop faible pour vous le dire, c’est réellement antagoniste. L’impression que j’aie par contre vis-à-vis des compatriotes des États-Unis est beaucoup plus positive. Ils m’avaient fait participer à une émission en directe étant en Guinée. Les questions qu’ils m’ont posées prouvent suffisamment qu’ils ont envi de participer au devenir de la Guinée. Il n’y pas eu de discordes majeurs entre elles. Ça m’a plutôt donné envi d’aller à leur rencontre, ça m’a donné l’envi de sauter l’étape de Paris pour aller les voir aux USA.

Je reviens sur ce que je disais tout à l’heure. Il faut que chacun fasse des efforts, vous Guinéens de l’étranger et moi en tant que ministère des Guinéens de l’Étranger afin d’assurer la pérennité de ce ministère. Mettre nos divergences de côté, ce qui implique que nous ne sommes pas forcés d’avoir les mêmes idées, d’être du même parti politique ou même d’un même village pour que ce ministère continue d’exister en tant que ministère clé du gouvernement.


Avez-vous été en contact avec les vraies associations représentant la communauté guinéenne de France ? Les individus que vous avez rencontré ne défendaient ils pas leurs propres intérêts?

J’avais pris contact, j’ai posé des questions pour savoir qui pouvait être l’interlocuteur qui devait prendre contact avec les présidents des différentes d'associations, afin de leur expliquer mon plan d’actions, ce que j’entends mener pour acquérir leur adhésion. Ensuite, il y a quelqu’un d’autre qui est venu se faire passer pour le plus représentatif et le plus légitime des Guinéens de France. Celui-ci m’a proposé une salle, je lui ai dit de voir avec les autres ‘’représentants’’ pour trouver ensemble. Il leur a été impossible de s’accorder sur un minimum de consensus. C’est ce qui laisse dire que j’ai le sentiment que les gens ici ne s’entendent pas.

J’ai eu un contact avec M. Bakary Diakité, coordinateur des Forces Vives Section France, qui est de loin, le contact le plus positif. Il va contacter les responsables avec qui j’aurais prochainement des séances de travail, qui feront par la suite des restitutions à leurs associations, afin de savoir qu’est-ce qu’on pourrait faire ensemble.

A Dakar, j’ai travaillé avec le collectif des cadres Guinéens du Sénégal durant deux heures. La rencontre a été fructueuse. Au Mali, j’ai travaillé avec un représentant des Guinéens, je dois m’y rendre une fois de plus. En Lybie, j’ai travaillé avec les jeunes représentants Guinéens, ça c’est très bien passer. Ce n’est qu’en France où j’ai eu plusieurs représentants à la fois qui ne souhaitaient être représentés que par eux-mêmes. C’est ce qui fait qu'il a été plus difficile de travailler à Paris qu’ailleurs. Aux USA, je suis en contact avec un porte-parole assez valable qui peut restituer tous les désirs de travailler avec eux. Il faut analyser les choses différemment ici en France.

La constitution des membres de votre cabinet a pris du retard. Qu’elles sont les véritables raisons de ce retard ?

J’arrive du privé, il est difficile de s’accorder. Le cabinet est prêt, il est sur la table du premier ministre. Je crois qu’il devrait être publié à mon retour. Je tiens d’ores et déjà à préciser que j’ai choisi un cadre organique léger pour avancer. Il appartiendra au prochain ministre de peaufiner ou de rajouter certaines choses sur le cadre organique. Pour l’instant, connaissant les problèmes de la diaspora, j’ai mis des directions nationales, notamment celles de la promotion de l’habitat du Guinéen, de l’étranger ; Une direction nationale chargée de l’appui de l’investissement des Guinéens de l’étranger ; Une direction des affaires sociales, consulaires et d’identité des Guinéens de l’étranger qui s’occupera de la protection sociale des Guinéens de l’étranger, de tous leurs problèmes consulaires et j’en passe… ; Une direction des statistiques et des prospectives qui vous le savez, les statistiques ne sont pas fiables, cette direction va poursuivre le recensement des Guinéens pas pour des fins électorales mais pour des fins de gestion des ressources humaines, des compétences avec une base de données en place. Comme tous les autres ministères, il y aura un chef de cabinet; Un secrétaire général ainsi de suite. Pour l’équilibre géographique, ce ministère sera la preuve, il regroupera toutes les composantes de la nation guinéenne.

Quelle sera la place des Guinéens de l’Étranger dans ce cabinet ?

Il y a votre place à la division communication, à la gestion de tout ce qui est communication; animation de site web et autres outils des nouvelles technologies de la communication et de l’information. Au niveau des conseillers, il y aura des Guinéens de l’extérieur. A la direction générale de l’habitat, j’ai proposé un Guinéen de l’extérieur qui a vécu à Marseille et qui est rentré au pays l’année dernière. La cheffe de cabinet du ministère est une femme que j’ai proposée. Elle a passé tout son temps au Canada mais qui est d’une autre formation politique. C’est un scoop que je vous donne bien que la décision ne soit pas encore entérinée par le premier ministre. J’ai essayé de lancer un bon signal à tous afin de taire les divergences et qu’on utilise les cadres, quelle que soit leur appartenance politique ou religieuse.

Peut-on envisager vous voir revenir à Paris dans seul but de travailler cette fois avec les guinéens de France dans leur majorités?


J’avais matériellement le temps de travailler avec les gens ici mais, les divergences entre les associations guinéennes ici en France m’ont refroidi. Maintenant, il faudrait que je réfléchisse d’une autre façon pour pouvoir contacter des présidents d’associations assez représentatives de la diaspora guinéenne de France pour travailler avec eux. Je veux des personnes qui peuvent influer sur les décideurs pour pouvoir valider un plan d’actions qui les concerne. Donc, je vais devoir revenir dans le cadre d’une mission que je vais conduire pour travailler avec les associations. Le problème des Guinéens de France va être pris différemment pour essayer de ménager les susceptibilités. Il y a beaucoup de susceptibilités, je ne vous apprends rien. Je vais devoir compter sur vous les journalistes et d’autres personnes que j’ai ciblées.

Le vote des Guinéens de l’étranger a suscité beaucoup de réactions, vous vous êtes longuement exprimé là-dessus…

L’objectif est atteint. La seule inquiétude c’est le temps. Nous étions au quai d’Orsay, nous l’avions évoqué. Ils m’ont compris, j’ai défendu la situation des Guinéens de l’étranger. Jusqu’aujourd’hui, le recensement se poursuit, il y a des imperfections mais, il faut choisir entre faire quelque chose aujourd’hui qui ne soit pas parfait mais aller quand même aux élections ou essayer d’avoir la perfection et aller aux élections plus tard. Un peu plus tard ça veut dire encore deux ou trois mois plus tard. Il est dans l’intérêt de tout le monde d’aller aux élections même si elles ne sont pas parfaites mais, y aller quand même. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y aura que 10% des Guinéens de l’étranger qui soit recensé et qui aura la possibilité de voter. Moi, je me fixe comme objectif 70% ou 75% de Guinéens de l’étranger qui puissent voter. Le cas échéant, le président élu ne sera pas légitime à mon avis parce qu’il y a 2 ou 3 de Guinéens qui ne se reconnaissent pas dans le prochain président de la République. Il y a des questions qui existent et qui méritent des réponses.

Des gens confondent les attributs de votre ministère avec celui des Affaires Étrangères, c’est quoi la ligne de démarcation ?

Tout ce qui est affairez consulaire, le ministère des guinéens de l’étranger doit être en rapport étroit avec les différents consulats. Après cela, son champ compétences est tout autre. Mon ministère s’occupe de l’identification, de la localisation, du rapatriement, des problèmes sociaux de réinsertion des Guinéens de l’étranger. Tout ce qui est de la politique étrangère du pays, je ne dis pas que cela nous importe peu mais, il appartient aux ministères des Affaires Étrangères de les gérer.

Vous étiez un ancien footballeur, je vous voyais au ministère des Sports…

Moi je me voyais un peu partout. C’est sans prétentions. J’ai une maîtrise en sciences économiques, je me voyais ministre du commerce, je me suis vu ministre de la Jeunesse et des Sports, comme également ministre de la Communication, etc. A ‘’Total’’, j’ai dirigé le département ‘’Communication et formation’’. Je me suis au vu dans le costume de ministre de l’Enseignement technique parce que je suis formateur dans l’âme. Je me voyais à tous ces postes. Je dois reconnaître qu’au point où nous en sommes dans le sport, je trouve qu’il est difficile de réussir grand-chose au ministère de la Jeunesse et des sports en 2 ou 3 mois. Le ministre ne pourra même pas jeter les bases tellement que le mal est si profond dans notre sport. Mais, de tous ces ministères, j’aime bien celui des Guinéens de l’Étranger qui, du point de vue contact humain m’enrichit et colle parfaitement à ma personne et à ma façon de vivre, à ma façon de voir les choses. C’est un ministère transversal comme je l’ai dit au début de l’interview parce qu’il y a du sport là-dedans, de l’habitat, etc.

Nous sommes au terme de cet entretien. Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. Vous avez quelque chose à rajouter qui vous tient à cœur ?

Seulement je tiens vous remercier pour le travail que vous faites pour donner l’information juste à nos compatriotes de l’Étranger et de l’intérieur. Je tien surtout à réaffirmer mon envi de voir les Guinéens de la diaspora profiter de cette opportunité qui nous est offerte pour participer au développement socioéconomique de notre pays. La volonté politique est clairement affichée avec la mise en place de ce ministère. Dans le gouvernement, il y a 5 ou 6 ministres qui sont issus de cette communauté de la diaspora. Mais, tout ceci ne pourra se faire que dans l’entente et la cohésion entre Guinéens à travers le monde. Je vous remercie une fois de plus pour cette opportunité que vous m’avez offerte…

Interview réalisée par M. Abdoulaye Youlaké Camara, Administrateur et Directeur de Publication de kibarou.com

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