Réaction à l’intervention de Sidiki Kobélé devant la Commission de Réconciliation nationale du Conseil National de Transition. « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. » Hegel.

1-. Avant-propos.

Le président Senghor a dit que « Sékou Touré avait un amour tyrannique du pouvoir. » Ce diagnostic est vérifié par la passion avec laquelle il s’est acharné à conquérir et à exercer le pouvoir. Cette passion s’est épanouie et l’a poussé à briser tout ce qui pouvait porter ombrage à sa gloire. Ce constat est illustré par le message écrit, de son sang, par Keita Fodéba sur le mur de sa cellule du camp Boiro, cité par René Gomez dans son livre « Camp Boiro : Parler ou périr. » L’ancien tout puissant ministre de l’intérieur et de la sécurité de Sékou Touré laisse ce témoignage posthume : « j’étais chargé d’arrêter tous ceux qui sont susceptibles d’incarner la volonté populaire. » Cet aveu ultime explique, à posteriori, la passion avec laquelle Sékou Touré a exterminé les cadres intellectuels, économiques et religieux et a exilé les étudiants.

Le récent communiqué de presse du club Sékou Touré sur les 50.000 tués du camp Boiro et la lecture actualisée des livres blancs des « aveux » des « agents de la 5e colonne » constituent des sources capitales sur lesquelles tout débat sur la recherche de la vérité des « complots » doit s’appuyer pour canaliser les réactions inévitablement opposées provoquées par l’évocation de notre premier cinquantenaire. Les lobbies PDG ne veulent entendre parler de la Guinée que pour faire les louanges de Sékou Touré, en occultant le camp Boiro. Mais lorsqu’on leur demande de montrer l’héritage laissé par leur chef et leur parti, ils ne peuvent rien présenter en termes de réalisations matérielles immortelles indiquant ce qu’ils ont fait de l’argent de la Guinée. Les crimes politiques du PDG ont étouffé la lutte syndicale et politique brillante que leur leader charismatique a menée. La construction d’appartements sur les fondations détruites des cellules de cabines techniques et la décision prise en cachette de débaptiser le camp Boiro traduisent la volonté des bourreaux d’effacer leurs forfaits.

Sékou Touré, ne laissant personne indifférent, a gouverné la Guinée avec la passion fougueuse et sanglante qu’il dégageait naturellement. La seule énonciation de son nom suscite émoi et malaise. En conséquence ceux qui ont bénéficié de ses faveurs se braquent dès que son nom est prononcé pour étouffer tout propos négatif sur leur chef. Ceux qui ont souffert de son régime cherchent passionnément la vérité de l’implication de leurs proches dans les « complots » et réclament les tombes de ceux-ci.

De 1984 à nos jours, feu Condé Julien, le professeur Doré Ansoumane, Touré Aboubacar Boundou, Soumah Flavio et moi, nous faisons la même proposition de dialogue aux pouvoirs publics en place pour organiser un débat contradictoire que Sidiki Kobélé demande aussi. Il vient de relancer cette démarche devant la Commission de réconciliation nationale du CNT. Si cette structure survit à la transition en cours, je me porte volontaire pour contribuer à la lecture collective de la page noire et douloureuse de notre décolonisation.


2-. Analyse critique et observations du rapport de Kobélé.

J’ai lu et relu le texte de Kobélé. J’ai noté avec intérêt un léger changement de style, même si le fil conducteur et le positionnement manichéen reste le même. J’ai retrouvé dans son document des positions que je développe depuis plus de 25 ans et notamment dans mon livre « Trente ans de violence politique en Guinée. » Il plaide, comme moi, la nécessité de procéder à « un débat dépassionné, serein et responsable. » Il suggère, comme moi, de se donner un délai de un an pour examiner les différents problèmes à résoudre. Il propose, comme moi, deux sous-commissions correspondant aux deux régimes, PDG et militaires. Mon expérience des débats guinéens me permet de dire ici que ces précautions sont pertinentes. Elles ne seront à notre portée que si nous plaçons notre démarche dans une méthodologie intellectuelle et de totale ouverture à tous les points de vue apportant de faits concrets.


3-. Nouvelles propositions.

Compte tenu du dogmatisme des inconditionnels du PDG qui campent de façon immuable sur leur posture du « complot permanent », je suggère d’ajouter aux deux commissions proposées par Sidiki Kobélé la rédaction conjointe de deux livres : livre noir de la décolonisation de la Guinée et livre blanc des réformes nécessaires pour refonder un Etat guinéen normal, impartial et protecteur de tous ces habitants pour les cinquante prochaines années.

Cette formule garantit la sérénité que nous souhaitons tous les deux. Elle permet de réhabiliter la démarche intellectuelle détruite par la diarrhée verbale du responsable suprême de la révolution. Elle oblige tous ceux qui ont quelque chose à dire de produire un document écrit relatant les faits, rien que les faits, étayés par de preuves irréfutables de leurs réalisations matérielles. Chaque témoin devra écrire son vécu depuis le jour où la révolution a frappé à sa porte, en bien, en mal ou les deux à la fois. La commission du livre noir recueillera les documents pour rédiger l’histoire concertée et contemporaine de la Guinée. Cette méthode de travail simplifie le dialogue et créé un climat de rencontres sincères et d’échanges réellement dépassionnés. Elle permettra de mesurer la volonté de chaque camp de contribuer à une réconciliation, porteuse de reconquête de la confiance.

La commission du livre blanc fera l’état de lieux, notamment des services publics, pour évaluer l’ampleur des dégâts et des dysfonctionnements à corriger. A cet effet, elle réunira dans des groupes de travail les membres selon leurs profils de formation professionnelle dans lesquels ils se connaîtront et apprendront à travailler ensemble. Cette méthode permettra de repérer et de faire émerger les leaders nécessaires à la mise en œuvre des réformes qui seront adoptées. Elle élimine ipso facto toute allégeance à une ethnie ou un clan qui empoisonne notre société depuis plus de 50 ans.


4-. Conclusion.

Si Sidiki Kobélé et ses compagnons du PDG sont sincères dans leur appel au dialogue, ils doivent se préparer à venir à ce rendez-vous dans un esprit totalement dépouillé de toute posture manichéenne et de totale ouverture à « l’autre. » Ils doivent cesser de considérer tout citoyen dénoncé comme déjà coupable. Les morts qu’ils ont tués au camp Boiro et leurs morts, tués par le CMRN en 1985, sont victimes du même déni de justice instauré par le PDG. Ils doivent méditer la leçon que nous a faite le fils aîné de Diallo Telli durant sa grève de la faim. Dans son interview du LYNX du 29 mars 2010, Thierno Diallo Telli déclare : « je vous fais la promesse solennelle, j’irai demander à Saïfon Touré, le fils de l’homme qui a tué mon père, Ismaël Touré, je lui dirai, viens, prends ma main, on va aller remercier… L’armée a tué chez tout le monde. Elle a tué dans la famille de Sékou Touré. Ces gens sont enterrés au pied du mont Gangan, Ismaël, Moussa Diakité, Keita Mamady, El hadj Touré Abdoulaye sont dans la même tombe, un seul charnier. En face d’eux, il y a d’autres victimes : Mody Oury Barry, Docteur Maréga et bien d’autres. Il faut rendre à chacun ses morts. » Il résume bien le dilemme auquel nous sommes confrontés : « les militaires ont tué nos parents sur l’ordre des Ismaël, Moussa Diakité, Keita Mamady qui se sont retrouvés eux-mêmes victimes des mêmes militaires qui les ont ainsi fermé la bouche. » Si cette leçon de courage et de tolérance inspire les inconditionnels du PDG, la réconciliation sera possible.
Merci de votre attention.
Docteur Thierno BAH



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