Ramadan : l'osmose spirituelle et sociale

D'après Abou Houreira (qu'Allah l'agrée), le Prophète (bénédiction et salut soient
sur lui) a dit : « le mois de Ramadan vous est venu, c'est un mois béni, Allah vous a
imposé de le jeûner. Durant ce mois les portes du ciel sont ouvertes, les portes de
la géhenne sont fermées, les diables rebelles y sont attachés. Il y a dans ce mois
une nuit qui est meilleure que mille mois. Celui qui est privé du bien de cette nuit est
quelqu'un qui est privé de bien ».
Le ramadan, également orthographié ramadhan ou ramazan, constitue l'un des 5
piliers et principes de l'Islam que sont :
- la profession de foi qui consiste à témoigner que nul autre que Dieu ne peut être
adoré et que Mouhammad est le prophète de Dieu ;
- les 5 prières quotidiennes et obligatoires ;
- le paiement de l'aumône appelée « Zakat » ;
- le Pèlerinage à la Mecque dit « Hajj » ;
- et le jeûne qui a lieu tous les ans pendant le neuvième mois de l'année lunaire.
Le ramadan est un acte religieux avec une dimension sociale, collective,
coercitive et économique ; c'est un moyen pour le musulman de se purifier et de
gagner le pardon de Dieu l'Omniscient. Il a pour but d'enseigner aux musulmans la
patience, la modestie, l'humilité et la spiritualité.
L'« Aîd al-Fitr » est la fête de la rupture du jeûne.

1) Les règles fondamentales régissant le jeûne : l'intention et l'abstinence
Le jeûne est une pratique dont l'institution repose sur le Coran et la Sunna. La Sunna
prophétique (cheminement ou pratiques) est l’ensemble des dires, des actions et
des décisions du Prophète (Salla Allahou Alaihi wa Sallam) et est considérée par les
Musulmans comme la deuxième partie du discours religieux en Islam.
Mais le jeûne ne peut être valable sans ces deux règles fondamentales que sont
l'intention et de l'abstinence.
a) L'intention
C'est la ferme résolution de jeûner en signe de soumission à Allah l'Omniscient. La
parole prophétique dit que « les actions ne sont rétribuées que suivant les intentions
qui les ont inspirées ».
Lorsque le jeûne est obligatoire, cette intention doit être formulée avant l'aube
chaque nuit, une fois pour tout le mois ou la nuit de la veille du Ramadan.
Lorsque le jeûne est surérogatoire, supplémentaire, l'intention est acceptée même
après le lever du soleil, à condition de n'avoir rien mangé, ni rien bu depuis l'aube.

b) L'abstinence
Elle consiste à s'abstenir de manger, de boire, d'avoir des rapports sexuels et éviter
de commettre tout acte illicite de l'aube au crépuscule. Celui qui commet un seul de
ces actes interdits par oubli doit continuer à observer le jeûne et faire un rattrapage
de ce jour après.
Les malades, les femmes enceintes ou qui allaitent, les femmes ou jeunes filles qui
sont dans leur période menstruelle, ainsi que tout individu dont ce jeûne pourrait
mettre la santé en péril en sont exemptés.

c) La rupture volontaire ou non du jeûne entraine des réparations
Cas de rupture volontaire : celui qui rompt le jeûne volontairement sans aucun
motif religieux valable ou celui qui fait une interprétation non logique et non justifiée

pour rompre le jeune doit rattraper les jours concernés et réparer pour chaque
jour non jeûné cette infraction selon un des 3 moyens suivants : libérer un captif
musulman ; jeûner 2 mois successifs ; nourrir 60 pauvres ou leur payer en argent
l'équivalent de la nourriture prescrite. C'est ce qu'on appelle l'expiation (al-kaffâra).
En cas de rupture involontaire (ignorance et mauvaises interprétations), on répare
seulement par le fait de jeûner le ou les jours après la fête de la fin du mois de
Ramadan et avant le Ramadan prochain. C'est le rattrapage (al-qadâ).
Celui qui a négligé de rattraper le jeûne d'un Ramadan précédent et qui se laisse
ainsi surprendre par la vue du Ramadan suivant, devra en plus du rattrapage faire
la Fidya (compensation) c'est à dire une nourriture à un pauvre (ou lui verser
l'équivalent en argent) pour chaque jour manqué.
La zakat (l'aumône) de la rupture du jeûne est recommandée.
En dehors du jeûne obligatoire du mois de Ramadan, il existe dans l'Islam d'autres
jours qu'il est recommandé de jeûner et, à l'opposé, des cas où le jeûne est
blâmable, voire totalement prohibé.

2) Le Ramadan : un phénomène à multiple dimension
Cette pratique religieuse engendre d'autres phénomènes, avec notamment une
dimension à la fois sociale, festive, collective, coercitive et un aspect économique en
pleine expansion.

a) une forte dimension sociale et festive
Le ramadan est un acte religieux avec une dimension sociale particulière.
Pour David Emile Durkheim (1858-1917), l'un des fondateurs de la sociologie, «
la religion et la société sont presque des synonymes et la religion émerge comme
lien social fondamental ». Il avait défini le ramadan comme « toute manière d'agir,
de penser, de sentir, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte
extérieure ; et, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant
une existence indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel ».
Selon lui, « la religion se crée dans des moments "d'effervescence collective"
lorsque tous les individus d'un groupe sont rassemblés pour communiquer dans une
même pensée et dans une même action » (...) « Une fois les individus assemblés, il
se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte vite à un
degré extraordinaire d’exaltation ». Il appelle cette énergie « mana ».
Ce « lien social fondamental », cette « effervescence collective » et cette énergie «
mana » sont perceptibles pendant la période du ramadan entre ses adeptes
musulmans. Le ramadan est une exigence religieuse pour tout musulman et
s'exprime par un comportement individuel qui pourrait ne regarder que le croyant ;
pourtant sa pratique possède une dimension collective considérable.
Pendant le mois sacré, c'est toute la société qui vit au rythme de l'abstinence et de
sa rupture : horaires continus, heures de fermeture dans certaines entreprises et des
services publics pour permettre aux employés de rompre le jeûne ; veillées, repas
gargantuesques en famille, etc. Toute la société vit à l'unisson et la dimension festive
se mesure à l'importance de la cuisine, des pâtisseries, la grande table de fête, la
réunion familiale, la communion, etc.
Le ramadan participe ainsi à une forme de cohésion sociale par le biais de la religion.

b) une dimension coercitive
Dans certaines sociétés, les non-jeûneurs sont considérés comme des provocateurs
qui sont appréhendés et condamnés. La loi y punit tout musulman qui mangerait

en pleine journée pendant le ramadan. Cette règle sociale qui permet d'unir les
musulmans se double alors d'une obligation légale.
On notera les dénonciations et les interventions parfois intempestives de la police.
Plusieurs procès ont été ainsi intentés dans des pays musulmans, en Algérie
notamment, pour non-observance du jeûne. Par exemple, lors du procès du
tribunal correctionnel d’Akbou en août 2010 qui concernait neuf non-jeûneurs
musulmans, le parquet avait requis de 2 à 5 ans de prison, pour « atteinte aux
préceptes de l'islam ». Son action se basait principalement sur l’article 144 bis, alinéa
2 du code pénal et le respect « de l'ordre public, des bonnes mœurs ».
Un collectif d’avocats, soutenu par des organisations de la société civile, s’était
constitué pour défendre les prévenus en s’appuyant sur :
- l’article 36 de la constitution relatif à « la liberté de conscience et la liberté d'opinion
qui sont inviolables ».
- l'article 2 de l'Ordonnance n° 06-03 du 28 février 2006 fixant les conditions d'accès
et les règles d'exercice des cultes autres que musulman : l'État algérien garantit
également la tolérance et le respect entre les différentes religions.
Cette dimension coercitive est unique en son genre, notamment au Maghreb. Les
autres piliers de l'islam n'ont pas le même degré d'obligation au sein de la société.
Ainsi, la loi ne condamne pas le fait de ne pas faire la prière 5 fois par jour.

c) une dimension économique exponentielle
Dans les villes européennes, le ramadan a même intégré les rayons des magasins.
Avec une croissance de plus de 10% par an, le marché français des produits
halal s’envole, suscite des convoitises et fait saliver les grands groupes agro-
alimentaires et de distribution, les marques spécialisées dans le halal qui en profitent
pour faire un chiffre d'affaire conséquent. Ce marché a son « salon de l'alimentation
et des services Halal » chaque année durant 2 jours à la porte de Versailles à Paris ;
le dernier a eu lieu les 3 et 4 avril 2011 où 7189 professionnels ont visité le salon et
plus de 25 médias ont couvert l'événement.
En 2009, il a enregistré une croissance remarquable : le chiffre d'affaires avait atteint
5,5 milliards d'euros en 2010, dont 1 milliard d'euros pour la restauration. C'est un
dynamisme largement imputable à une population musulmane croissante qui compte
5 millions d'âmes en France et reste surtout respectueuse du principe halal.
Une pratique en progression : selon un sondage Ifop du 1er août dernier dans le
journal « La Croix », 71% des musulmans de France respectent le ramadan, soit une
progression de 11 points par rapport à 1989, année de la première enquête menée
sur le sujet. D'où un potentiel énorme de consommateurs à séduire.

Conclusion :
Si le ramadan est accepté dans sa dimension sociale, familiale voire économique, il
reste bel et bien un exercice religieux de l'Islam.
Dans le contexte de la peur des communautarismes et de la montée de
l'islamophobie en Europe, comme nouveau lien idéologique des extrêmes droites,
il est aussi perçu comme un révélateur de la présence des musulmans et de
l'expansion de l'Islam qui est devenu la religion la plus pratiquée et qui connait de
plus en plus d'adeptes. Dans un contexte préélectoral enfiévré par la droite, doit-on
s'attendre à des remarques cinglantes sur le ramadan, voire des dérapages ?
Par ailleurs, le début du ramadan coïncide avec deux événements dissemblables :
Premièrement, la nouvelle mosquée de Strasbourg qui a ouvert ses portes le 1
août dernier et accueilli ses premiers fidèles. C'est le premier lieu de culte construit

pour les musulmans en Alsace en référence au Concordat en Alsace-Moselle issu du
concordat de 1801 signé par Napoléon Bonaparte (1769-1821).
Le gouvernement français, dans un souci d'apaisement, a engagé une concertation
pour traiter de l'application de la « neutralité religieuse » dans les services publics
et des solutions sont négociées pour mettre fin aux prières de rues et dans
des « caves ». Mais il reste une grande injustice à réparer, un lourd déficit à combler
au profit des musulmans de France.
Deuxièmement, le drame de la sécheresse en Afrique de l'Est où des millions
de personnes sont menacées de famine. Les musulmans et tous les humanistes du
monde devraient leur apporter leur soutien et faire vivre l'esprit de ce mois béni empli
de solidarité et de générosité.
En Guinée, nous devons mettre à profit ce mois de ramadan moubarak, ce moment
de répit, pour retisser les liens distendus entre nous tous, pour faire preuve de
tolérance, de tempérance. L’unité est notre bien commun le plus précieux : nous
partageons le même destin entrelacé, le même passé, le même présent et sommes
condamnés à partager le même futur.
Que ce mois de dévotion, de piété, d'abstinence et de prières soit, pour nous tous
sur la terre qui est notre patrimoine commun, l'aube annonciatrice d'une longue
période de santé, de prospérité, de bonheur et surtout de paix.
Que l'Islam soit notre embarcation, le Prophète notre guide, le désir de servir d'Allah
notre stimulant, la patience et l'humilité nos armes!
Qu'Allah l'omnipotent accepte nos prières, nos sacrifices et veille sur nous et nos
familles!

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr

Paris, le 04 août 2011

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