La faillite de l'école guinéenne

« Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne. Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne ne sont jamais allés à l'école une fois, ne savent pas lire et signent d'une croix. C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime. L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme. Où rampe la raison, l'honnêteté périt » prophétisait Victor Hugo (1802-1885), (Les Quatre vents de l'esprit, 1881).

« Instruire, c'est construire » préconisera également Victor Hugo dans son Discours à l'Assemblée du 15 janvier 1850 lors du débat relatif au projet de loi Faloux portant sur l'instruction publique et promulguée sous la Deuxième République (de 1848 à 1852). Le comte Frédéric Alfred Pierre de Falloux du Coudray (1811-1886) était à l'époque un historien et le ministre de l'Instruction publique, l'équivalent de l'actuel ministre de l'Education nationale.

L’école demeure le substratum, le fondement, le lieu d’épanouissement par excellence du citoyen. Un citoyen bien formé et informé peut donner un avis éclairé et contribuer au développement de son pays.

Malheureusement, au vu des résultats catastrophiques des examens de l'école primaire et secondaire publiés cette semaine, le système éducatif guinéen est aux abois, en faillite, dans une situation désastreuse.

« Dérive », « Echec global », ce sont entre autres qualificatifs que les autorités politiques et les responsables du secteur de l’éducation ont utilisé pour fustiger les examens de 2011. De l’entrée en 7e année au Bac unique en passant par le BEPC, les résultats sont dans l’ensemble décevants C’est un euphémisme : moins de 17% de réussite au Baccalauréat .

La faillite de l'école guinéenne découle d’une responsabilité collective, partagée, cependant.

Le sacrifice de Yaguine Koïta (1984-1999), 14 ans, et Fodé Tounkara (1985-1999), 15 ans, aura donc été vain ; ils avaient été découverts morts de froid le lundi 2 août 1999 dans le train d’atterrissage d’un avion à l’aéroport de Bruxelles-National (Belgique). Leur fameuse lettre était à la fois un appel au secours personnel et un plaidoyer pour l'Afrique, notamment son système éducatif.

Le monde est dominé par le savoir qui a consacré la suprématie des Occidentaux depuis des lustres et, récemment, l’émergence d’autres pays tels l’Inde et le Brésil. Investir dans la recherche et l’emploi des jeunes sera inéluctablement le salut pour vaincre l’obscurantisme et la pauvreté endémiques en Afrique, in extenso, et la meurtrie Guinée, en particulier.

L’une des raisons majeures de l’échec du système éducatif est la part famélique de l’Education nationale dans les budgets nationaux. Pour y remédier, en partie, « le préalable à la réforme de toute politique éducative est cependant la revalorisation de la condition enseignante ; il faut surtout revoir le niveau des formateurs » me répétait inlassablement Docteur Facinet Béavogui (1950-1999). Il fut mon ami et condisciple en anthropologie juridique sous la direction du Professeur émérite Michel Alliot et Etienne Le Roy à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il fut l’auteur du célèbre ouvrage « Les Toma (Guinée et Libéria) au temps des négriers et de la colonisation française (16ème-20ème siècles) », préfacé par Odile Goerg et paru en novembre 2003 à L’Harmattan, collection « Etudes africaines ». Il était professeur d’histoire. Paix à son âme !



1) Un système éducatif dans une situation désastreuse : un échec collectif

Les résultats obtenus dans les différents examens de la session 2011, placés sous le slogan « tolérance zéro » au niveau de la fraude, sont les suivants :

- Entrée en 7e année : taux de réussite de 30,51 % ;

- BEPC, brevet d’étude du premier cycle : 21, 3 % ;

- Baccalauréat (taux général moins de 17% de réussite) : sciences expérimentales 8%, sciences mathématiques 16 %, sciences sociales 28%.

On dénote dans les réactions des autorités politiques et des responsables du secteur de l’éducation de l’impuissance et de la fatalité.

« C'est un véritable fiasco (...) Ces résultat n'honorent pas la Guinée s'ils sont le reflet du niveau du système éducatif guinéen (...) C'est une honte nationale » : c'est en ces termes que s'indigna le Premier ministre Mohamed Saïd Fofana lors de la présentation des résultats de ces examens le 17 août à la primature par Dr Ibrahima Kourouma, le ministre de l’enseignement pré-universitaire et de l'éducation civique, et par Mamadou Diallo le directeur national des services examens.

Le Premier ministre a déduit de ces résultats « un échec collectif (…) L'échec d’un enfant est un peu celui des parents et de son maître (…) Nous avons certainement des lacunes à tous les niveaux y compris celui du gouvernement. Toute chose qui mérite d’être revue et corrigée », a-t-il martelé.

Selon le ministre Kourouma « ces résultats reflètent le vrai visage du système éducatif actuel guinéen ».

Pour Mme Adama Sow, représentant la fédération des parents d’élèves, « ces résultats bien que catastrophiques, sont révélateurs de la faiblesse de niveau du système éducatif guinéen (…) Il faut faire un état des lieux pour trouver les véritables causes ainsi que les solutions idoines qui s’imposent ».



2) Le sacrifice vain de Yaguine et Fodé

Dans les affaires des deux passagers clandestins du vol 520 Sabena Airlines en provenance de Conakry se trouvaient des sacs plastiques, leurs certificats de naissance, leurs cartes de scolarité, des photos et surtout une lettre dont le contenu nous interpelle encore :

« Messieurs, les membres et responsables d’Europe, c’est à votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique (...) Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant (...) Au niveau des problèmes, nous avons : la guerre, la maladie, la nourriture, etc. Quant aux droits de l’enfant, c’est en Afrique, surtout en Guinée, nous avons des écoles, mais un grand manque d’éducation et d’enseignement ; sauf dans les écoles privées, qu’on peut avoir une bonne éducation et un bon enseignement, mais il faut une forte somme d’argent, et nous nos parents sont pauvres. La (?) c’est de nous nourrir, ensuite nous avons des écoles de sports telles que football, basket (?), etc. Donc dans ce cas, nous les Africains, surtout les enfants et jeunes Africains, nous vous demandons de faire une grande organisation efficace pour l’Afrique, pour qu’il soit progressé (...) Donc si vous voyez que nous sacrifions et exposons notre vie, c’est parce qu’on souffre trop en Afrique et qu’on a besoin de vous pour lutter contre la pauvreté et mettre fin à la guerre en Afrique (...) Néanmoins, nous voulons étudier, et nous vous demandons de nous aider à étudier pour être comme vous en Afrique. »

Depuis le lundi 2 août 1999, aucun enseignement n’a été tiré du sacrifice, de la mort de froid dans le train d’atterrissage d’un avion de Yaguine et Fodé. Bien au contraire, la dégradation du système éducatif guinéen s’est accentuée.



3) Le monde est dominé par le savoir

« Le savoir est la sève nourricière du progrès et de tout système de développement » nous enseigne-t-on. « Le savoir est un héritage pour demain », souligne-t-on.

Le « siècle des Lumières » fut, sous l'appellation de « Lumières », un vaste mouvement philosophique et scientifique qui domina le monde des idées dans l'Europe de la seconde moitié du 18ème siècle. Il tire son nom de la volonté des philosophes de l'époque de combattre les ténèbres de l'ignorance par la diffusion du savoir. Il naquit dans un contexte technique, économique et social particulier : montée de la bourgeoisie, progrès des techniques, progrès de l'organisation de la production, des communications, progrès des sciences, etc.

C'est grâce à la maitrise de nouvelles technologies que l'Europe domina le monde qu'il se partagea notamment lord de la Conférence de Berlin de février 1885 ; les puissances colonisatrices ayant décidé, d'un commun accord, de se partager le « gâteau africain », de profiter des ressources du continent noir sans devoir guerroyer entre eux. L'Afrique fut ainsi dépecée, partagée, sans souci de ses réalités historiques, socio-économiques, ethniques mais dans le seul intérêt des puissances exploiteuses.

C'est la seconde guerre mondiale qui sonnera le glas de l'Europe au profit des Soviétiques et des Américains. Ces derniers ont accentué leur suprématie en investissant dans le savoir, la recherche.

La Silicon Valley en est une parfaite illustration : ce nom forgé en 1971 par un journaliste local, Don Hoefler (1922-1986), désigne le pôle des industries de pointe situé dans la baie de San Francisco en Californie (USA).

L’entreprise Apple n'est pas devenue première capitalisation boursière mondiale, la société la plus importante au monde par hasard. Dans un contexte boursier tendu et volatile actuellement, l'entreprise de Steve Jobs est officiellement devenu mercredi 10 août 2011 la plus importante capitalisation mondiale à 337,2 milliards de dollars, clôturant sur un cours de 363,6 dollars. La firme à la pomme dépasse ainsi le géant pétrolier Exxon Mobil dont la capitalisation boursière atteignait 330 milliards de dollars. Apple a largement réussi à imposer l'iPhone et l'iPad la tablette mobile; elle est devenue la marque qui a la plus forte valeur au monde, passant devant Google qui était à la première place depuis quatre ans, selon une étude de Millward Brown.

Au mois de mai 2011, selon l’étude américaine BrandZ, qui établit le top 100 des marques d'après leur valorisation, Apple pesait déjà plus de 153 milliards de dollars avant de supplanter Microsoft, Google et IBM grâce au savoir, à la recherche.



3) Le préalable à la réforme de la politique éducative :
la revalorisation de la condition enseignante

« Si L'éducation coûte cher, essayez l'ignorance » clamait Abraham Lincoln (1809-1865), le 16ème président des Etats-Unis de 1861 à 1865. L’école a certes un coût mais son apport est inestimable, incommensurable.

Invité à Paris le 10 Mai 2008 par le club de réflexion Demain La Guinée (DLG), le ministre de l’économie et des finances Ousmane Doré, interpellé par Cheikh A. Seck l’ex-président du Mouvement des jeunes Guinéens de France (MJGF), avoua que seul 8% du budget national était consacré à l’éducation nationale.

Après son investiture en décembre 2010, le Président Alpha Condé avait évalué à plus de 30% la part du budget de l’Etat consacré à la seule armée nationale ; en réalité le militaire qui a droit à une augmentation de ses revenus de 100% et à de nombreux avantages en nature (sac de riz, etc.) est mieux loti en Guinée qu’un élève pour qui la bourse d'études est un mirage, une arlésienne dont les critères social et financier d’attribution ne sont pas respectés ou vont dans des « poches inappropriées » ; alors qu’un jeune est l’avenir, le ferment de toute nation.

En France, les dotations inscrites au budget du ministère de l'éducation nationale dans le PIB se sont élevées à 60,8 milliards d’euros en 2010 ; soit une progression de 1,56 % par rapport à la loi de finances initiale de 2009.

En 2011, la France consacre en moyenne 8000 euros par an à chacun de ses élèves. C’est la part la plus importante de son budget national : « l’Education nationale représente un quart du budget de l’Etat avec une augmentation de 1,6 %. Il s’agit de son premier poste de dépenses hors charge de la dette », a rappelé le ministre Luc Chatel lors du vote du projet de loi de finances 2011 au Parlement.

Les bourses nationales, l’aide, l’action sociale en faveur des élèves et étudiants, l’apprentissage y sont conséquentes et privilégiées.

Au Sénégal en 2011, ce sont 250 milliards de francs CFA, soit 40% du budget de fonctionnement de l’Etat hors dépenses communes, hors service de la dette qui sont alloués au secteur de l'éducation nationale.

En Guinée, il est urgent, judicieux de redéfinir une nouvelle politique éducative en revalorisant notamment la condition enseignante (formation, établissements réhabilités et équipés, salaires décents, promotion, etc.). L’analphabétisme, l’obscurantisme sont les alliés objectifs du pouvoir omnipotent alors que le savoir est un contre-pouvoir naturel qui contribue à l’éveil des consciences et au sursaut de l’esprit civique.

Le besoin de cadres et de main-d’œuvre qualifiée a un coût ; mais notre pays est un des Etats sous-développés qui consacrent une part infime de leur richesse nationale à leur système éducatif, à l’épanouissement de leur jeunesse.

Conclusion : L’école est en première ligne de toutes les difficultés sociales

L’état de l’école est le reflet, le miroir de sa société et de son Etat ; elle est donc en première ligne de toutes les difficultés sociales. Mais il n’incombe pas aux enseignants de gérer au sein de l’école les problèmes de la société que les politiques n’ont pas pu régler.

Au-delà des réflexions et du débat politique lui-même, il s’agit de voir comment sauver l’école guinéenne qui est aujourd’hui enlisée, au plus profond du marigot.

L’urgence, c’est comment équiper les écoles et les universités pour que les enseignements qui y sont dispensés puissent l’être dans les meilleures conditions pédagogiques.

L’université ou l’école demeure un magnifique lieu de civilisation, le meilleur creuset social ; il faudra la réformer, favoriser une synergie entre elle, la recherche et l’entreprise, une adéquation entre un système éducatif performant et le monde du travail. Grâce à une politique éducative refondée, à une économie saine et productrice d’emplois, notre jeunesse ne servira plus d’applaudimètre et ni de « chair à canon » pour des leaders politiques et/ou sociaux qui les manipulent en exaltant leur appartenance ethnique commune.

L’effectivité du principe d’égalité des chances pourra dans ce contexte favorable pallier, suppléer les « réseaux identitaires » de promotion sociale, économique et professionnelle.

Ce sera au prix de ces réformes précitées que la Guinée pourra devenir, réellement et de manière pérenne, un pôle de développement attractif tant pour les investisseurs nationaux qu’étrangers. Mais surtout un havre de concorde, de paix.

L’analphabétisme, l’obscurantisme, l’ethnocentrisme seront ainsi éradiqués et la citoyenneté pourra s’ébrouer allégrement dans notre futur champ démocratique.

Grace au « Siècle des Lumières », le savoir et l’unité furent promus sur le « Vieux continent » : « Il n'y a plus aujourd'hui de Français, d'Allemands, d'Espagnols, d'Anglais même, quoi qu'on en dise ; il n'y a que des Européens » se réjouissait Jean-Jacques Rousseau (1712-1778).

« L'Europe est le plus morcelé des continents, disait David Hume (1711-1776) l'un des plus importants penseurs des "Lumières écossaises" ; c'est en cela que réside sa nouvelle unité et c'est pour cela qu'elle a pu engendrer les Lumières ».

Les gouvernants africains et guinéens devraient s'en inspirer pour conjurer le mauvais sort.


Que Dieu préserve la Guinée !

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH

Juriste et anthropologue guinéen

nabbie_soumah@yahoo.fr

Paris, le 20 août 2011

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