Administration publique guinéenne :Tribalisme et exclusion à tous les étages

La ségrégation ethnique au travail est prévue et punie par la loi guinéenne, mais elle fait florès dans les nominations aux hauts postes de l'administration publique. Trop c'est trop ! A terme, cette pratique est une menace pour l'unité et la stabilité du pays.

Tout laisse croire que les hétairies et coteries du pouvoir ont décidé de mettre en œuvre dans l'administration publique une politique à deux volets, sans égard pour la menace qu'elle pourrait représenter à terme pour la stabilité de ce pays : une promotion systématique des cadres de l'ethnie du Président et une exclusion systématique des autres, avec un accent particulier pour ceux qui appartiennent à l'ethnie de Cellou Dalein Diallo. Il faut avoir des œillères ou être de mauvaise foi pour nier cette évidence ! D'ailleurs, les exemples sont légion.

Dans le gouvernement, les directions nationales, les entreprises publiques ou parapubliques, les directions des affaires administratives et financières (DAAF), 70 pour cent des postes sont aujourd'hui occupés par une seule ethnie, laquelle ne représente que 25 pour cent de la population du pays, d'après le président Sékou Touré (nous le prouverons !). Et ce n'est pas fini, car l'appétit vient en mangeant ! Pourtant, le nouveau régime a encore besoin de séduire les autres régions du pays pour gagner les législatives, sans quoi il ne pourrait gouverner librement ni appliquer sa politique. Quel visage aura donc l'administration si le RPG a la majorité à l'Assemblée ?

Le chef de l'Etat, le Pr Alpha Condé, reconnaît implicitement l'existence de cette politique ségrégationniste et la légitime en quelque sorte. Il a essayé de la justifier en comparant la démocratie (naissante) guinéenne à celle (vieille et solide) des États-Unis. Il avait dit un jour au Palais du peuple : « Certains critiquent mes décrets, mais que ça plaise ou non, je continuerai de nommer ceux qui ont lutté avec moi pendant vingt ans pour le changement.En Amérique, quand les démocrates viennent au pouvoir, ils enlèvent tous les libéraux et vice versa. » Autrement dit, les postes administratifs appartiennent désormais aux cadres militant dans le RPG. Officiellement ! Et puisque tout le monde voit ce qui se passe, doit-on conclure que le RPG est un parti ethnique ?

Outre le fait que la comparaison entre la Guinée et les Etats-Unis est quelque peu hardie, si on veut « instituer » la notion de parti au pouvoir en Guinée, il est clair qu'on expose le pays aux pires dérives tribales. Car, en Guinée, parti au pouvoir signifierait ipso facto ethnie au pouvoir. En effet, la grande leçon tirée par les observateurs étrangers du dernier scrutin présidentiel est que les Guinéens avaient voté pour le candidat de leur ethnie ou de leur région. La leçon étant valable pour le second tour aussi, puisque c'était toutes les ethnies contre celle de Dalein.

Bien évidemment, à leur tour, les ministres, directeurs nationaux et directeurs généraux promus sur une base partisane (donc ethnique) ont beau jeu d'implémenter la politique prônée par le Chef. Chacun d'eux puise ses collaborateurs en Haute Guinée et brise sans regrets ni remords la carrière des cadres issus des autres régions. Les compétences, l'avenir du pays, on s'en fiche éperdument ! Tout se passe comme si la ségrégation ethnique au travail n'était pas prévue et punie par la loi.

Quant aux ministres issus des autres régions (appelés aussi dans l'opinion publique « ministres de coloration ethnique »), on leur a tous flanqué à dessein un adjoint de la « bonne ethnie » : leur secrétaire général les nargue et bafoue leur autorité. C'est avec eux que traite le ministre directeur de cabinet de la Présidence de la République, le Dr Mohamed Diané, devenu quasiment numéro deux du régime.

Allez à l'Agriculture, l'on vous dira que Jean-Marc Telliano est peut-être un personnage controversé mais le meilleur ministre que le département ait connu, du moins en jugeant au bilan dont il peut se prévaloir en sept mois en termes de moissons de fonds à l'étranger, de projets novateurs et prometteurs pour le pays, de réformes avisées, etc. Et pourtant, il a un secrétaire général de « l'ethnie bon teint » qui se moque de lui, le contourne pour faire des décaissements au ministère des Finances, règne en maître et est l'interlocuteur direct du ministre directeur de cabinet de la Présidence de la République, comme s'il était le vrai patron du département.

La campagne agricole 2011 a été lancée en Haute Guinée sur instructions d'en haut, alors que la Basse-Guinée ou la Guinée-Forestière, deux régions à fort potentiel agricole, auraient bien fait l'affaire elles aussi. Cela signifie-t-il que la Haute Guinée, dont est originaire le Président, sera favorisée dans les projets de développement ?

Quant aux ministres d'Etat à deux départements, ils se trouvent dans l'obligation de composer avec un ministre délégué à la Présidence de la République issu de la Haute Guinée à qui est adjugé le département le plus juteux et qui n'a aucun compte à leur rendre. Les deux ministres d'Etat « récompensés » pour avoir rejoint l'Alliance Arc-en ciel entre les deux tours de la présidentielle de 2010, Elhadj Papa Koly Kourouma (de la Guinée-Forestière) et Bah Ousmane (de la Moyenne Guinée) l'ont appris à leurs dépens. Ils avaient jubilé en apprenant leur nomination mais leur joie fut de courte durée. L'un a vu le convoité ministère de l'Environnement revenir sans crier gare à Saran Madi Touré pour n'avoir finalement à se mettre sous la dent que le département de l'Energie, ministère à problèmes par excellence. L'autre est tombé des nues quand il s'est retrouvé avec le seul ministère des Travaux publics aux hypothétiques projets, le succulent département des Transports ayant échu par surprise à Cheick Tidiane Traoré, ancien martyr du RPG.

L'un et l'autre n'ont pas pu placer un seul cadre de leur choix dans les cabinets de leurs deux ministres délégués. Même à EDG, Abdoulaye Keïta a été imposé à Papa Koly Kourouma. Et si L'entreprise d'électricité s'en sort, c'est le directeur général qui en récoltera les palmes, si ça foire, c'est le ministre d'Etat qui trinquera !

Le général Mamadouba Toto Camara, sitôt nommé ministre de la Sécurité et de la Protection civile, s'est vu adjoindre un ministre délégué chargé de la Réforme des services de sécurité originaire de la Haute Guinée, ayant la haute main sur la police et son budget. Piqué au vif et se sentant affaibli, le général Toto avait menacé de démissionner. Il a fallu toute la diligence du Premier ministre pour le ramener à de meilleurs sentiments. Pour le leurrer, on lui a donné le titre ronflant et creux de ministre d'Etat. Rien n'avait changé pour lui, en vérité, mais… passons !

En remaniant son cabinet, Saran Madi Touré a largué treize cadres dont… onze peuls ! Aux journalistes outrés, il a répondu en pince-sans-rire qu'il ne s'en était pas rendu compte.

Le Dr Naman Touré, tiré du ruisseau par le président de la République pour être parachuté à la tête du ministère de la Santé, est, lui, allé plus loin : il a balayé tous les cadres qui ont le faciès foutanien. Tant qu'il sera là, aucun Peul ne donnera son avis dans ses conseils de cabinet ni n'éventera les décisions qui en seront issues !

Les ministres non originaires de la Haute Guinée ne peuvent choisir librement les cadres de leur cabinet. Le ministre directeur de cabinet de la Présidence de la République, passage obligé des projets de décret, s'érige en censeur et fixe les quotas. C'est la pure vérité ! Pourtant le slogan de campagne, c'était « Ensemble, changeons la Guinée ». Pourtant, peu après son élection, le président de la République avait dit sur France 24 qu'en formant le gouvernement, il ferait balance égale entre les quatre régions naturelles du pays, soit 25 pour cent pour chacune d'elles !

Avec tout ça, on parle de réconciliation nationale. Sans d'ailleurs préciser en quoi les Guinéens sont divisés, ni quels en sont les principaux responsables et qui doit demander pardon à qui.

Pas étonnant que la Guinée marque le pas malgré le « changement ». On serine le peuple avec ce mot qui n'est plus qu'une litote politicienne.

Une chose est sûre, l'ethnocentrisme et la politique d'exclusion ne mèneront la Guinée qu'à l'échec. Ils ne feront que la priver du génie créateur de trois régions sur quatre. En continuant à blesser dans leur dignité une bonne partie des Guinéens, on exacerbe leurs frustrations dont l'accumulation constitue une grave menace pour l'unité et la stabilité du pays. Les rancœurs entretenues n'attendent que l'occasion de s'exprimer violemment ; même chez un individu, a fortiori dans une communauté, voire plusieurs. L'histoire politique récente de la Côte d'Ivoire devrait inspirer nos dirigeants.

El Béchir.

L'Observateur


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